mercredi 1 avril 2020

Le théâtre de la mémoire

Pour la cinquantième semaine sidérale :
  
« Voilà ce qui fit de l'image de Rome au XVIe siècle une arme pour la Contre-Réforme grâce à laquelle les papes maintenaient leur emprise sur la ville dans ses deux dimensions : l'euphorie de l'horizontal et les enjeux du vertical.
  
« La première dimension est celle des fêtes, des processions et des cortèges qui, à l'occasion des grandes canonisations notamment, produisent une discipline de l'espace.
  
« Les papes entreprennent toutefois un double déchiffrage simultané de Rome : par la surface, donc, mais aussi par les profondeurs. Au XVIe siècle, c'est l’Église qui entreprend d'investir et de fouiller l'infra-Rome.
  
« Elle ouvre la grande bataille des origines, inventant – [ ... ] – les catacombes pour y faire l'inventaire des persécutions. Une épaisse couche de martyrs – [ 10.202 aux thermes de Dioclétien ] – fonde le socle géologique d'une histoire sédimenté.
  
« Les églises se construisent sur et dans les temples. Ainsi la Contre-Réforme met-elle en scène ce dispositif visuelle par lequel se manifeste la chirurgie spatiale de Sixte Quint :
  
« Rome doit cesser d'être cet amas étouffé dans la boucle du tigre pour déferler sur les espaces vides et s'étaler à l'air libre. Mais elle doit aussi partir à la conquête des airs, dominés par ces poteaux cosmiques que sont les colonnes de Trajan ou de Marc Aurèle.
  
« Il s'agit d'unifier verticalement l'espace sacré en redressant des obélisques aux endroits clefs de la ville. Comme l'écrit Gérard Labrot [ en 1987 ] Sixte Quint construit littéralement le ciel de Rome.
  
« Ce discours ascensionnel s'exprime aussi dans les églises, des catacombes aux coupoles : une apothéose. »
  
Cf. Patrick Boucheron (2019) – La Trace et l'Aura. Vies posthumes d'Ambroise de Milan Anamnèses ambrosiennes – Ministère de la gloire. Le dernier des nouveaux AmbroiseUn nom historié, Charles Borromée
  
« Sans doute était-il désormais illusoire, à l'heure de la diffusion imprimée des livres, de prétendre maîtriser le corpus des écrits et des références ambrosiens.
  
« Au même moment paraissaient les premiers volumes des œuvres complètes d'Ambroise de Milan [ 1579 – 1587 ] [ six tomes en trois volumes ].
  
« Mais ils étaient imprimés à Rome, et leur maître-d'œuvre était Felice Peretti, cardinal de Monte Alto, qui à la fin de cette grande entreprise érudite et éditoriale devint pape sous le nom de Sixte Quint [ 1585 – 1590 ]
  
« [ Celui là-même qui ] entreprit de réaliser la grande scénographie urbaine dont Gérard Labrot fut l'historien » – cf. L'image de Rome. Une arme pour la Contre-Réforme [ 1534 – 1677 ].
  
Cf. Patrick Boucheron (2019) – op. cit. ibidem – Souviens-toi : la ville est le théâtre baroque de la mémoire
  
« En 1580, le cardinal Felice Peretti demande à Charles Borromée qu'il lui envoie à Rome un portrait d'Ambroise afin que sa « vraie effigie » puisse orner le frontispice du premier tome de ses œuvres complètes, qui était alors sous presse.
  
« Il insiste pour qu'on lui trouve une représentation équestre. L'archevêque de Milan résiste : il n'existe pas de représentation « authentique » d'un Ambroise à cheval.
  
« Il lui en envoya une autre, que le futur Sixte Quint jugea « vraie » et « authentique », parce qu'il y reconnaissait les traits d'Ambroise, « de son vivant ».
  
« Mais à quoi ou à qui ressemble un portrait que l'on dit ressemblant alors qu'on n'a jamais vu le visage de celui qu'il représente ? » – cf. Hans Beling. Blason et portrait. Deux médiums du corps. Pour une anthropologie des images (2004).

[ « Au nom de quoi peut-on dire d'un portrait qu'il est ressemblant, alors que l'on ne connaît pas le visage de celui qu'il représente ? » ]

Cf. Patrick Boucheron (2019) – op. cit. ibidem – La cathédrale, l'empereur chassé du chœur et la barbe d'Ambroise Ce qui rend Ambroise vivant ]
  
« La seule contribution milanaise à la publication des Opera omnia du Père de l’Église universelle fut donc l'envoi en 1580 de la « vrai effigie » d'Ambroise au cardinal Peretti, insérée en frontispice de tous les volumes imprimés.
  
« En la recevant, Felice Peretti écrivit à Charles Borromée pour lui faire part de son enthousiasme : Il me semble qu'Ambroise ne pouvait être autrement qu'ainsi, visage redoutable et vénérable, effrayant pour les Rois et les Empereurs.
  
« Je l'ai fait voir à de nombreux seigneurs, tous en furent très édifiés, et pensent qu'il ne peut y avoir d'autre effigie que celle-ci.
  
« Dans cette lettre, le cardinal décrivait parfaitement l'image que Charles Borromée se faisait d'Ambroise – une image qui était, là aussi, une arme pour la Contre-Réforme. »
  
Cf. Patrick Boucheron (2019) – op. cit. Ibidem – Voir enfin son vrai visage
  
  
  
  

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