samedi 6 mai 2023

La voie muḥammadienne

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« ... si [ Valérie ] Hoffman a choisi de centrer sa réflexion [ en 1994 ] sur [ les ] fragments du « Qâb qawsayn » [ d'abd al-Karîm al-Jîlî qui traitent des vertus de la « tasliya » ] c'est que le thème du « fanâ' fî'l-rasûl » est au cœur de la polémique qui ...

« ... depuis une trentaine d'année [ en 2015 ] oppose des islamologues de renom à propos du concept de « néo-soufisme » et qu'il lui semblait que le texte de Jîlî était de nature à faire progresser le débat. » [ ... ]

[ Pour le néo-soufisme nous nous référons à l'essai de Nadine Picaudou qu'Addas ignore où le concept a une teneur idéologique qui coïncide avec une économie cyclique ignorée par les « islamologues ».

Cf. Nadine Picaudou – L'islam entre religion et idéologie. Essai sur la modernité musulmane (2010) ]

« Selon une opinion qui a prévalu jusqu'à une époque récente, le XVIIIe et le XIXe siècle ont été marqués par l'émergence de nouvelles confréries – Sanûsiyya, Khatmiyya, Idrîsiyya, Rashîdiyya, etc. – ayant pour dénominateur commun ...

« ... de promouvoir un soufisme épuré des dérives doctrinales émanant de l'école d'ibn Arabî comme aussi de certaines pratiques populaires suspectes [ ... ] et caractérisé par un prophétocentrisme [ sic ] prétendument inédit, ...

« ... dont témoignerait notamment l'importance que les fondateurs de ces confréries accordent à [ l'imitation du prophète ] [ « ittibâ' an-nabî » ] dans la vie spirituelle en général, d'une part ...

« ... et d'autre part, [ à « l'annihilation en l'Envoyé » ] [ « fanâ' fî'l-rasûl » ] dans le processus de la réalisation spirituelle. »

Addas cite ici toutes les efflorescence de la « tarîqa » idrîsside avant de dissimuler sous « etc. » celles de la « Khalwatiyya » – Tijâniyya, Raḥmaniyya et Sammâniyya – mentionnée à propos de la dernière.

Au moins la Sammâniyya bénéficie-t-elle d'une mention condescendante où Addas dit comprendre que Muḥammad al-Sammân ait cédé à la tentation de plagier la partie la plus remarquable et la plus significative du « Qâb qawsayn » de Jîlî.

De même, une note fait également mention de tensions entre ibn Kîrân (1812) et Aḥmad Tijânî (1815) qui démontre au contraire une certaine influence de la Sammâniyya sur la Sanûsiyya dans la voie muḥammadienne.

« Le principal instigateur de ce néo-soufisme serait Aḥmad ibn Idrîs [ al-Fâsî ] (1837) dont on nous dit [ les islamologues « au service des empires coloniaux » ] qu'il a voulu jeter les bases d'un vaste mouvement panislamique ...

« ... ayant pour mission de combattre l'envahisseur chrétien et pour doctrine de suivre la « Voie muḥammadienne » – « al-ṭarîqa al-muḥammadiyya » : un émule d'ibn Taymiyya en somme. »

Cf. Claude Addas – La Maison muḥammadienne. Aperçus de la dévotion au Prophète en mystique musulmane – « Muḥammad n'est absent d'aucun lieu à aucun moment » – « Unis-moi à lui » (2015)

La référence à ibn Taymiyya est grotesque mais Addas lui rend justice en identifiant l'enseignement spirituel d'al-Fâsî à une imitation du prophète – « ittibâ' an-nabî » – qui porte « nettement » l'emprunte d'ibn Arabî.

Si l'identification de la forme prophétique au fond de la déité peut paraître excessive chez Jîlî son identification à la forme de celui qui la contemple dans Son miroir chez ibn Arabî donne à cet enseignement un aspect traditionnel.

La voie muḥammadienne qu'on identifie à celle ibn Taymiyya fait ensuite l'objet d'un développement repris par Wright qui l'identifie à la « tijânîyya » en faisant du « Qutb al-maktum » – du Pôle caché – le « Quṭb al-aqṭâb » de cette « ṭarîqa ».

Raison pour laquelle nous avons assigné cette dernière fonction qui nous a paru inférieure à la première quoique considérable au Sheykh Hamallâh (1943) dont la sépulture se trouve à Montluçon.

Cf. Zachary Valentine Wright – Sur la voie du prophète. Le cheikh Aḥmad Tijânî et la tarîqa muḥammadiyya (2018)

Ici la voie muḥammadienne qui est celle du prophète nous est présentée comme la voie idrîsside que Muḥammad al-Sanûsî nous expose à partir des antécédents d'abû Sâlim al-'Ayyâshî (1679), d'Hasan al-'Ujaymî (1702) et de Murtadâ al-Zabîdî (1790).

Ce qui ne permet pas de nier les spécificités du « néo-soufisme » ni d'expliquer la dissimulation de tout un pan de ce patrimoine à laquelle semble se livrer les membres d'une Société dominée la « Beshara » de Bulent Rauf.

Mais cela suffit pour nous convaincre avec abd al-Wahhab ash-Sha'rânî (1565) qu'elle était déjà pratiquée intensément par Nûr ad-Dîn al-Shûnî (1537) et Aḥmad al-Zawwâwî (1517) qui récitaient la « tasliya » nous dit-il dix et quarante mille fois par jour.

Encore aurait-on pu évoquer Shams ad-Dîn Muḥammad al-Bakrî al-Kabîr (1586) qui reçu du Sceau des prophètes la prière de l'Ouverture – la « salâtu'l-Fâtihi » – qui sert d'invocation et d’étendard à la « ṭarîqa » tijâniyya.

On aurait vu alors qu'en remontant vers le Sheykh al-Akbar (1240) et abd al-Karîm al-Jîlî (1402), le « néo-soufisme » de l'époque coloniale prend sa source à mi-parcours dans une halte – « mawqif » – qui correspond au début du dixième siècle de l'hégire.

[ Amadou Makhtar Samb situe la vie de Muḥammad al-Bakrî (1545) entre 898 et 952 de l'hégire dans un livre consacré à la prière sur le prophète (1997). Il y donc peut-être une erreur de notre part sur son identification avec al-Kabîr (1586). ]

Quoi qu'il en soit, Jazûlî (1465) serait le premier d'après Vimercati Sanseverino à instituer au Maghreb la récitation de la « tasliya » comme une pratique à part entière – cf. « Fès et sainteté » de 808 à 1912 d'après une thèse de 2012.

Quant à la « ṭarîqua muḥammadiyya », on devrait cette expression à ibn Qayyim al-Jawziyya (1350) qui la tiendrait ibn Taymiyya (1328) dans un environnement plutôt hostile au Sheykh al-Akbar qui relevait plutôt du patrimoine initiatique de la Qâdiriyya.

Hostilité néanmoins très ambiguë dans la mesure où les adversaires de la « 'ubûdiyya » akbarienne exprimant la servitude des amis de Dieu n'ont pu qu'intégrer les catégories auxquels elle s'opposait.

Notons encore dans ce chapitre décidément très dense l'influence d'al-Jîlî (1402) sur Uthmân Mîrghanî (1852) à l'origine de la Khatmiyya dans celle d'al-Fâsî (1837) où Ismâ'il Rashid apparaît également.

    

     

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