jeudi 12 décembre 2024

La longue porte

...

Retour vers la demeure des haltes

Pour la demeure du quatorzième jour qui succède à la nuit
au premier mois de la décade :

Je commence par chanter
Poséidon
le grand dieu

Qui fait bouger la terre
et la mer
où rien ne pousse

Seigneur des vagues

Maître de l'Hélicon

[ en Béotie ]

et d'Aïgaï la grande

[ en Macédoine ]

Toi qui secoues la terre
les dieux t'ont donné un double don

celui de dompter les chevaux [ de la mer ]
et de secourir les bateaux

Réjouis-toi Poséidon
aux bleus cheveux

Seigneur de la Terre
heureux et bienveillant

Viens en aide à ceux qui naviguent

Hymne homérique (XXII) pour Poséidon
qui ne comprend que sept vers

« C'était les cartes de sa patrie cosaque ou plutôt de son odyssée à la recherche de celle-ci.

« La main de Krasnov traçait sur ces cartes avec le geste vigoureux d'un général qui dessine le plan de l'offensive, les lignes d'une fuite perpétuelle : ...

« ... depuis Nowogrudok à cent verstes de Minsk où les cosaques s'étaient établis en 1944 dans un Kazakhstan assiégé par les Allemands – avec l'espoir de pouvoir y rester pour toujours – ...

« ... puis toujours plus à l'Ouest et au Sud à travers la Pologne, l'Allemagne, l'Autriche jusqu'à ce dernier voyage en Carnie – de Villaco à Tolmezzo  [ sur un ] parcours que Krasnov allait bientôt refaire en sens inverse.

« Les Allemands leur avaient promis une patrie – un Kosakenland – [ mais ] au fur et à mesure que la guerre progressait, ce Kosakenland était déplacé sur les cartes des états-majors allemands vers l'Occident et la Méditerranée ...

«... et le peuple cosaque se mettait en marche pour le rejoindre avec ses carrioles et ses chevaux, ses femmes et ses enfants, ses armes et ses chameaux, ses vieux drapeaux et ses meubles.

« Ils étaient désormais en Carnie – ayant atteint ce port qu'ils croyaient ultime et qui devait l'être pour de bon mais dans un sens bien différent  installés dans ces villages transformés en Stanitz du Don [ Sièges administratifs des communes cosaques ] ...

« ... et rebaptisés avec des noms cosaques. »

« Quand il se mit à tracer sur ces cartes [ ... ] les lignes réelles de ces retraites parcourues et les traces imaginaires de ses avancées projetées, il me sembla [ ... ] avoir déjà vu cette scène.

« Et tandis que je la voyais se superposer avec la scène réelle que j'avais sous les yeux, je m'aperçus que je donnais un visage à une page [ de son roman ] que j'avais lue auparavant.

[ « De l'aigle impérial au drapeau rouge » ]

« Krasnov y décrivait Kornilos – le général blanc de la guerre civile : il le décrivait occupé à étudier à la lumière d'une chandelle dans une cabane cosaque les cartes de la Russie et les plans stratégiques contre les Bolchevicks.

« J'avais sous les yeux Krasnov – fièrement naïf et borné – tel qu'il avait vu Kornilov dans son souvenir avec ses moustaches tombantes et ses yeux mongols penché sur les cartes.

« Et don Caffaro prit le livre et se mit à lire avec un ton faussement ironique et en réalité assez ému : ...

« Il voyait ouvert devant lui – avait écrit Krasnov – la longue porte par où les nations asiatiques étaient entrées pour envahir l'Europe à l'époque de Gengis Khan et de Tamerlan.

« Il se souvenait des années de sa jeunesse et il revoyait les déserts et les montagnes de l'ardente ville de Tachkent envahie par une poétique mélancolie, Fergana – ce paradis terrestre – et l'Inde – songe fantasmagorique aux mille couleurs.

« Il connaissait ces régions depuis son enfance ! Il espérait pouvoir entrer en contact avec les Anglais pour former un nouveau front sur l'Orient qui irait de l'Oural à la Volga... »

[ Mais l'Europe sur le Dnierp n'est qu'une péninsule de cette Austrasie. ]

Cf. Claudio Magris – Enquête sur un sabre (1987)

   

    

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