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vers la demeure des lettres
Pour
la demeure de la septième sphère
parmi les sept sphères
célestes de la douzième lettre :
« Lâm »
●
« Elle
avait été vivement séduite par le récit de Jules Verne dont les
péripéties offraient à son goût du merveilleux et à la révérence
ingénue qu'elle entretenait à l'égard des mystères de l'univers
l'occasion de s'exercer ensemble.
« Comme
sa curiosité était toujours en éveil – chaque année à mon
arrivée à Saint-André, elle me demandait de lui redire le peu que
je savais des étoiles – un livre semblable était véritablement
du pain bénit pour elle.
« Car
il n'y avait à l'évidence aucune contradiction dans sa pensée
entre sa passion pour les arcanes de la connaissance et cette
espérance obstinée dans la survenance du miracle ...
« ...
qui s'était développée en elle lors des épreuves de mon enfance
au point de faire partie de sa nature.
« Pressentant
sans avoir lu Hamlet qu'il y a plus de choses dans le ciel et sur la
terre que n'en peut rêver notre philosophie, elle vivait dans la
certitude excitante que tout est possible à tout moment et croyait
dur comme fer à tous les Peau d'Âne qu'on lui contait. »
« J'eus
pour la première fois la puce à l'oreille lorsque sa lecture aborda
le début du chapitre III : c'est à ce moment du récit que
miss Campbell découvre l'existence du rayon vert dans un article du
« Morning Post ».
« Alors
que Thérèse-Augustine lisait habituellement sur un ton dépourvu de
toute passion apparente, je décelai soudain une modification dans la
coloration émotionnelle de sa voix : en évoquant l'instant où
le soleil lance son ultime rayon avant de disparaître dans la mer –
...
« ... ce rayon d'un vert merveilleux, d'un vert qu'aucun
peintre ne peut obtenir sur sa palette, d'un vert dont la nature n'a
jamais reproduit la nuance ... » – elle paraissait baigner
dans un bonheur enfantin.
« Littéralement,
elle en avait les larmes aux yeux comme si elle venait de découvrir
une vision édénique : « S'il y a du vert dans le
Paradis, ce ne peut être que ce vert-là. »
« La
pensée me vint qu'elle montrait un visage du même genre quand elle
dégustait une de ces tartelettes à la frangipane dont elle était
particulièrement friande.
« En
même temps, je ne pouvais me défendre d'éprouver le sentiment que
la sonate de musique céleste à laquelle elle prêtait l'oreille
n'occupait que la part la plus mince de son attention ...
« ...
et que le lyrisme des sphères tenait en fait moins de place dans son
plaisir que la sensualité de la gourmandise.
« Ce
qui signifie en d'autres termes qu'elle était déjà en train de se
préparer mentalement à partir à la conquête du rayon en question.
« La
suite de la lecture ne fit que confirmer cette impression.
« Non
seulement elle prit pour argent comptant le roman de Jules Verne et
ne mit pas une seconde en doute l'existence du rayon vert mais elle
se convainquit bientôt qu'au prix d'un effort d'assiduité et
d'attention, nous aurions le privilège de le contempler nous-mêmes.
« Est-il
nécessaire de préciser qu'elle n'eut aucune peine à m'en persuader
aussi ? »
« Le
reste ne fut plus qu'une affaire d'organisation. Il nous parut utile
tout d'abord de procéder – un carnet de notes à la main – à
une relecture rapide de l'ouvrage.
« Il
fallait consigner avec soin les conditions qui présideraient à une
observation parfaite du phénomène : un long crépuscule, une
mer calme, un ciel sans nuages, un horizon dégagé de toute brume.
« Comme
le temps se maintenait au beau et que nous étions au début de
juillet – c'est-à-dire à une époque voisine des plus longs jours
de l'année – rien ne nous interdisait de tenter l'aventure sans
attendre. C'est ce que nous fîmes.
« Je
ne raconterai pas notre expédition. La seule chose qui m'importe,
c'est qu'elle nous apparut sur le moment comme une réussite totale.
« En
regagnant la maison ce soir-là, nous aurions juré tous les deux
qu'un rayon vert admirable avait nappé l'étendue à l'instant où
le dernier segment du disque solaire s'était effacé de l'horizon
marin. Nous aurions fait ce serment l'âme sereine et la tête sur le
billot.
« Je
me rappelle que notre seul point de désaccord durant l'échange de
vue assez animé que nous eûmes au retour, tandis que nous laissions
nos bicyclettes pédaler toutes seules en suivant le lit de la brise
qui venait de la mer, concernait la nuance du vert en question :
...
« ...
je le voyais dans les tons émeraude, Thérèse-Augustine estimait
qu'il tirait plutôt sur le jade. »
« Naturellement,
tous les gens de bon sens soutiendront que nous avons eu la berlue et
que nous n'avons pas aperçu le rayon vert pour la raison qu'on ne
peut apercevoir ce qui n'existe pas.
« Qui
a raison ? Moi-même quand je m'interroge aujourd'hui sur ce que
nous avons réellement vu ce jour-là, je suis contraint d'avouer que
mon assurance vacille.
« Il
est vrai que j'ai vieilli et que ma grand-mère n'est plus auprès de
moi pour m'insuffler ses certitudes. »
« Un
poète a ouvert un jour le dossier de la longue querelle de la
tradition et de l'invention, de l'ordre et de l'aventure.
« Sans
autre information et en espérant ne pas faire preuve d'une excessive
outrecuidance, j'aimerais y ranger le souvenir de ce très modeste
épisode. »
Cf.
Charles Bertin – La petite dame en son jardin de Bruges (1996)
« Ce
pourquoi je suis venu vous remercier ce matin sur le théâtre de
l'ultime expédition que vous avez rêvée : ...
« ...
si vous avez aperçu le rayon vert, c'est que vous faisiez confiance
à Jules Verne comme Schliemann a découvert Troie parce qu'il avait
fait confiance à Homère. »