mardi 30 mai 2023

La tente du rassemblement

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Si vous recherchez les onze sceaux du « kali yuga » à travers l'histoire, vous verrez qu'il ne sont que dix et que le onzième n'est que l'hypostase d'un substrat plus ancien – l'esprit de Vajradhara comme bodhisattva du Bouddha dans son « dharmakâya ».

Il n'est là d'un point de vue strictement doctrinale que pour compléter la triade orientale, la rendant semblable aux quatre autres triades qui forment l'octogone occidental avec les huit sceaux qui s'y croisent à quatre reprises.

On peut donc considérer que leur édifice ne repose que sur cinq piliers où la triade orientale occupe la position centrale avec une périodicité particulière, plus ancienne que celle qui caractérise les triades périphériques – « 5 x 500 » au lieu de « 4 x 600 ».

Mais on peut aussi considérer qu'il repose sur les dix piliers célestes qu'on retrouvent en Chine à la base des soixante binômes du calendrier sexagésimal avec les douze branches terrestre des maisons zodiacales.

C'est donc bien la triade orientale qui est la triade centrale et Vajradhara qui occupe la onzième place au cœur de la décade même si les deux témoins de l'Apocalypse expriment aussi une image algébrique de cet ensemble.

Le Sceau des prophètes est alors une représentation de la décade et le fils de Marie une nouvelle monade pour la parousie d'un nouveau « manvantara » reprenant la place de Vajradhara avec le retour de Sri Matsya – le premier des dix avataras de Vishnu.

Ce qui ne fait pas du Sceau des prophètes le dixième avatara qui succéderait ainsi à celui du Bouddha mais bien la représentation d'un ensemble où s'inscrit aussi celui de Gengis Khan sous la nomenclature de Sri Kalkî.

De même, la parousie du fils de Marie n'est pas une représentation primordiale de l'esprit du Bouddha semblable à Vajradhara mais plutôt une condensation de la lumière infinie d'Amitâbha au cœur de son « sambhogakâya ».

La triade orientale est donc celle des bodhisattvas du Bouddha manifestés d'abord dans son « dharmakâya » puis à deux reprises dans son « nirmâṇakâya » sous les aspects métamorphiques des bouddhas du Tibet et du Japon – Padmasambhava et Nichiren.

Le prototype historique de ces manifestations apparaît sous notre décade à la fin du « dvapara-yuga » parmi les quatre premiers sceaux de la « Tetraktys » qui en compte quatorze dans la réitération originelle de ses éléments constitutifs.

Ici aussi, on pourra faire valoir que l'un d'entre-eux est déjà le premier des dix et que le prototype du bodhisattva n'en fait qu'un avec sa première manifestation. Ce qui revient à dire qu'il ne sont que treize renvoyant alors au nombre originel des maisons zodiacales.

Mais quelque soit l'accent métaphysique ou cosmique qu'on y mettra, il renverra toujours à la même symbolique de la tente et de ses piliers pour qui veut s'y rassembler.

Au centre de la tente et de la triade orientale, les huit sceaux de l'octogone occidental qui apparaissent en périphérie dans son « nirmâṇakâya » ont leurs équivalent dans le plérôme des huit bodhisattva du « sambhogakâya ».

Celui qui les voit autour du Mât, les voit aussi comme autant de signes auspicieux pour y accrocher les toiles et y faire les nœuds qui retiennent les voiles entre chacun d'eux.

Toi qui va quitter la lagune pour te réfugier sur la dune en attendant le Jugement, entre sous la tente du rassemblement pour que la vague qui déferle ne t’emmène au loin en se retirant.

   

    

lundi 29 mai 2023

L'astre du Jugement

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« Quant à moi, j'entrai au paradis en compagnie du huitième groupe.

« Alors le « Mîm » [ ... ] cessa – comme Dieu me l'avait annoncé – et ce fut le temps de la « ma'iyya » associée [ aux ] soixante-dix mille voiles.

« Et la [ « compagnie avec Dieu » ] continua de supprimer les voiles et de les consumer jusqu'à ce qu'ils soient tous anéantis dans l'ultime voile, ...

« ... et finalement il ne subsista plus ni voile ni « ma'iyya » [ compagnie « avec » Dieu. ]

« À ce moment-là, le huitième groupe s'écria : « Seigneur notre Dieu, accorde-nous ce que Tu nous as promis » – S 3 V 194 a.

Cf. La contemplation de la lumière de l'argument par le lever de l'astre du Jugement (14) – Le salut du huitième groupe jugé conforme à la loi divine (82) du « Mashâhidu'l-asrâr al-qudsiyya » traduit par Stéphane Ruspoli (1999)

Ruspoli interprète ici la lettre « Mîm » comme « la loi muḥammadienne ». Mais si elle cesse sous l'effet du Jugement pour ceux qui sont jugés conformes à la loi divine, cette interprétation semble impraticable.

Le palindrome du « Mîm » (40) en rapport avec les quatre-vingt jours du Sabbat est ici le lieu des « soixante-dix mille voiles » qui voilent les sept jours de la Semaine à raison d'un jour par myriade.

Ces voiles sont étendus de nuit entre chaque jours de la Semaine et rassemblés pour le Sabbat entre le sixième et le huitième jours dont il est fait mention dans le colophon – ici qualifié de sceau – comme autant de facettes attribuées au cœur de la créature.

Ruspoli identifie le « huitième groupe » à celui des véridiques et des prophètes. Mais il ne s'agit sans doute que de celui des véridiques qui bénéficient de la vision prophétique et détiennent de ce fait une proximité qui est celle des prophètes.

C'est à eux que reviennent la demeure du huitième jour qui dans l'économie du septénaire de l'hebdomadaire est bien évidemment la première – celle qu'on qualifie de dominicale et qui en tant que telle est aussi celle de la décade.

La décade étant comprise ici dans le quatre qui contient le trois qui contient le deux qui comprend sa monade originelle quand elle n'est que la première qui remonte vers elle à partir du milieu de la Semaine – donc du Jeudi au Dimanche.

Cette ascension n'est alors que le redoublement de celle qui descend depuis la demeure dominicale vers le centre de la Semaine tout le long de son « quadrivium » puisque cette demeure lui appartient – donc du Dimanche au Mercredi.

Le jour de l'unité – « al-ahad » – n'est donc pas seulement le premier du septénaire de la Semaine dans la cosmologie du « Wâw » (6) mais aussi celui de la décade dans la métaphysique du « Yâ » (10) où ils coïncident autour de leur Pôle – « Alif » (1).

Cette coïncidence est aussi celle d'un octogone tracé entre un cercle et un carré par les palindromes du « Wâw » (6) et du « Nûn » (50) où les voyelles indiquent le sens de leur interpénétration avec celle du « Yâ » (10) pour le « Mîm » (40).

Le « Mîm » (40) comprend alors le « Yâ » (10) comme le « Nûn » (50) comprend le « Wâw » (6) compte tenu du fait que la lettre ne vaut ici que la moitié de son palindrome où la valeur de sa voyelle hiératique n'est pas prise en compte par sa vocalisation.

Donc douze pour le cercle de la sphère zodiacale et cent pour le carré du damier qui lui sert de base – « ad-Da'im » – dans sa région sublunaire où le nombre de leurs degrés est encore équivalent dans l'infra-monde de la division – « 360° = 4 x 90° ».

Rappelons pour la figure intermédiaire du « Mîm » (40) qui cesse au paradis que les quatre-vingt jours du Sabbat sont ceux des cinquante-deux semaines de l'année (52) avec la treizième semaine pour chacune des quatre saisons (28).

Les quatre qui se recoupent se retrouvent autour du solstice d'hiver là où les cinq jours complémentaires remplacent le treizième mois qui complétait les cycles de vingt-huit jours pour l'année sidérale – « 13 x 28 = 364 » + « 1 » et « 12 x 30 = 360 » + « 5 ».

Le sixième jour complémentaire et son bissextile qui pour l'année sidérale était un jour unique se retrouve donc en-dehors des sept jours de la Semaine mais dans le décompte des mois là où il coïncide avec l'équinoxe du printemps.

Les voiles des semaines du treizième mois se retrouvent par conséquent entre le dixième de la décade et le premier du Janus tandis que le dévoilement paradisiaque s'opère sur le repère des précessions où processionnent les cycles de la grande année cosmique.

Et pour ceux du « huitième groupe » qui entrent au paradis sur la montagne cosmique où le Phénix renaît de ses cendres – quelque soit ici les modalités de cette renaissance – tous les voiles étendus entre ces réalités se déchirent les uns après les autres.

Ce qui reste vrai pour le Phénix aux six mille lunaisons qui distribue les jours bissextiles sur une période de cinq cents ans – « 0,25 > 0,24 < 0,242 » – l'est aussi pour les onze sceaux qui départagent les cohortes pendant un « kali-yuga » de 2.592 ans.

Le « kali-yuga » est ici un dixième (1/10) de la grande année cosmique – « 360° x 72 » – dont la décade est distribuée par la « tétraktys » pythagorique dans une quadrature du cercle où elle apparaît comme le « maha-yuga » (4/10) d'un « kalpa » 64.800 unités.

   

    

samedi 27 mai 2023

Le nombre des secrets

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« Quand au nombre de ces Contemplations – quatorze – il va de soi qu'ibn Arabî a intentionnellement tiré parti du symbolisme du septénaire redoublé.

« On connaît la sentence qu'il prononça devant le cercle du Saykh [ abd al-'Azîz ] al-Mahdawî – à Tunis en 590 de l'hégire – à l'époque où il écrivit son Livre des Contemplations.

« Il déclara devant l'assistance estomaquée : « Je suis le Coran et les Sept redoublés ! » – par allusion aux sept versets de la « Fâtiḥa ».

Cf. Spéphane Ruspoli – Introduction au Livre des Contemplations divines d'ibn 'Arabî où al-Mahdawî est présenté comme le successeur d'abû Madyan (1197) – Le symbolisme du septénaire (1999)

La similitude ou la gémellité entre le Sheykh al-Akbar et le Noble Coran – contenu et contenant – est une assertion communément assénée par le « tasawwuf » akbarien.

Nous avons vu que le redoublement peut être indépendant par rapport aux sept versets de la première sourate et dans ce cas désigner les « Mu'awidhatan » (113 et 114) ou lié au nombre de ces versets en désignant les sept sourates du « Kawthar » (108 – 114).

Le nombre quatorze a son propre redoublement qui n'a rien à voir avec celui de ce septénaire : celui de la décade (10) avec les quatre éléments qui la composent (4) quand ils apparaissent comme les quatre permutations de la dyade.

Le nombre des sections de l'ouvrage (107) laisse entendre qu'un tel redoublement s'inscrit en-deçà des redoublements du « Kawthar » mais n'exclut nullement que le septénaire originel – celui des versets de la « Fâtiḥa » (1) – puisse s'y trouver comme analogie.

C'est même ce que laissent entendre les variations grammaticales qui substituent l'article de coordination – « wa » – à l'adverbe de manière – « bi » – des déterminations astrales que Ruspoli qualifie de « fluctuations » stylistiques.

Dans ces fluctuations, la contemplation au onzième secret d'une « vision apophatique de la déité purement indéterminée » lui paraît singulière et on peut la considérer comme celle d'une monade qui accompagne la décade au début de son dédoublement.

Et dans ce dédoublement, la considérer comme une hypostase de la monade originelle qui caractérise l'unicité de l'Un sans second ; cette hypostase entretenant ici un rapport étroit avec la dyade dont elle procède :

« Dieu m'introduisit dans la contemplation de la déité. Ce fut tellement inexprimable que je suis impuissant à décrire la chose et incapable même de la suggérer. Il n'y eut plus aucune qualité, ni propriété, ni nom, ni repère quelconque.

« Il parla, je parlai. Il fit signe, Il fit face, Il se détourna, Il se leva, Il s'assit. Toutes ces choses furent suspendues, et je ne vis rien. Je vis les choses sans qu'il y ait vision.

« L'interpellation cessa, les causes furent anéanties, le voile disparut complètement. Il n'y eut plus que la subsistance et l'abolition fut abolie du sein de la subsistance par « Moi ».

Cf. Contemplation de la lumière de la déité par le lever de l'astre de la négation (11) – La grande annihilation mystique (63) – « Kitâb mashâhidu'l-asrâr al-qudsiyya wa matâli' al-anwâr al-ilâhiyya » du Sheykh al-Akbar traduit par Stéphane Ruspoli (1999) :

« Livre des Contemplations des secrets sanctissimes et des levers des lumières divines » ou Contemplation des secrets sanctifiés par la vision des aurores intimes.

L'annihilation fait ici référence au « Moi » divin dans les « tahlîl » de ses trois « tawḥîd » – le quinzième, le dix-septième et le dix-neuvième – énoncés à la première personnes du singulier – cf. S 16 V 2 + S 20 V 14 + S 21 V 25.

« Ibn 'Arabî a précisé ailleurs sa conception du nombre quatorze comme indice de l'âme humaine pleinement illuminée et manifestant la synthèse des [ sept ] attributs de perfection en commentant une strophe de son [ « Interprète des désirs ardents ». ]

« Il s'inspire semble-t-il – des propriétés de la Tétraktys des pythagoriciens en additionnant la tétrade fondamentale des quatre forces ou éléments universels au nombre dix qui en est le produit ... »

Mais pourquoi ce « produit » devrait-il être « démultiplié » et comment surtout cette démultiplication de la décade pourrait-elle « dégager » un « double septénaire » – celui « de la constitution de l'âme initiée à la connaissance du « tawḥîd ».

Si une telle opération a encore un sens, on voit bien que « l'idée » du « double septénaire » ou « le principe » de son « redoublement » ne correspond pas ici à la « perfection » du nombre qui préside à la contemplations des secrets.

Cf. L'introduction de Stéphane Ruspoli commentant la strophe du « Tarjumân al-ashwâq » : dix est bien évidemment la somme des nombres de la « Tétraktys » et c'est quatorze qui est le produit de la multiplication par deux du « septénaire ».

Le nombre des secrets de la contemplation dans la vision des aurores intimes est aussi celui des deux lettres isolées qui apparaissent au début de la vingtième sourate où se trouve le dix-septième « tawḥîd » (14) comme celles du « â » (9) et du « Hâ » (5).

Mais rappelons que le cycle hebdomadaire de la semaine comprend déjà l'ascension et l'éloignement par rapport au Jour dominical sous la forme du « trivium » ascendant et du « quadrivium » sans qu'il soit nécessaire de les redoubler.

C'est donc le « trivium » ascendant que nous qualifions de prophétique ou de poétique qui doit être identifié à la décade et le « quadrivium » qu'on qualifiait autrefois de mathématique qui correspond en arithmétique à la réalisation califale.

C'est l'identification du « trivium » à la décade qu'on observe dans la décade des mois lunaires où chaque mois synodique comprend trente jours ou soixante phases et donc leur décade trois cents jours ou six cents phases.

Il en résulte que le « quatrivium » doit correspondre aux soixante jours du Janus dans la génération des cercles qui se trouvent en-deçà de la dyade où l'hypostase de la monade originelle devait correspondre jadis à celle de la décade.

Car il existe en effet une hypostase intermédiaire – celle de la décade – entre la monade originelle – celle de l'Un sans second – et celle de la dyade à laquelle renvoie l’annihilation du onzième secret qui devait correspondre aux cinquante jours du Janus romain.

La superposition de ces hypostases dans l'économie cyclique du « kali-yuga » n'est sans doute que l'ultime avatar d'un passage du paysage sidéral des peuples les plus anciens aux cycles synodiques où s'inscrivent les calendriers les plus récents.

   

    

mercredi 24 mai 2023

Le Vide-vivant

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Bernard de Fontaine (1153) – l'abbé de Clairvaux – a définit dans un court traité les quatre degrés de l'Amour :

1. L'amour de soi pour soi qui est l'expression d'un l'amour mondain souffrant et faisant souffrir d'une pénible perversion narcissique ; et il n'est guère nécessaire de la psychiatriser pour en rendre compte.

2. L'amour de Dieu pour soi qui est l'expression d'un orgueil spirituel que le Sheykh al-Akbar semble identifier à la « Rubûbiyya » – le degré de la Seigneurie – qui caractérise d'une certaine façon la réalisation ascendante vers la sainteté.

3. L'amour de Dieu pour Dieu qui est l'expression d'un repentir ou d'une contrition à travers laquelle toute âme sainte s'engage dans un éloignement par rapport à la proximité qu'il a réalisé dans sa phase ascendante.

L'identification à l'Identité suprême n'est qu'une modalité de cette proximité où l'altérité est rompue et où certains se complaisent dans l'ivresse mystique en-deçà de l'éloignement qui caractérise le retour vers les créatures.

4. L'amour du Soi pour Dieu qui est l'expression de l'Amour divin que le Sheykh al-Akbar semble identifier à la « 'ubûdiyya » – le degré de la servitude » – qui caractérise d'une certaine façon cet éloignement dans l'amour du prochain.

C'est de cet amour là que le maître spirituel – de tout temps et en tout lieu – aime son disciple et que le géniteur – s'il s'est détaché de lui-même – aime sa progéniture sans attendre de sa part la reconnaissance qu'il a déjà reçu de Dieu.

« Dieu est Amour et Puissance. La création des êtres procède de Son amour et non d'une quelconque contrainte. Détester ce qui est produit par la Volonté divine agissant par amour, c'est prendre le contre-pied du Vouloir divin et contester Sa sagesse.

[ Les quatre piliers des fonctions hiérarchiques du « tasawwuf » akbarien ne sont pas très loin : « al-Qâdir » – le Puissant – « al-Murîd » – le Voulant – « al-'Alîm » – le Sachant – « al-Ḥayy » – le Vivant – qui est ici Celui qui exerce Son amour.

Par contre, il y a bien une contrainte dans l'expression de la Volonté divine et de Sa sagesse qu'Il n'exerce par Sa puissance que sur Lui-même si l'Amour est une expression du Vivant.

Le sage de Bandiagara évoque ici la contrainte qui serait extérieur à elle-même et qui dès lors serait la figure d'une tyrannie s'exprimant comme une oppression non-consentie. ]

« Exclure un être de l'Amour primordial, c'est faire preuve d'ignorance capitale.

« La vie et la perfection [ qui caractérise le sommet des degrés dans les ordres hiérarchiques du corps, de l'âme et de l'esprit ] sont contenues dans l'Amour divin qui se manifeste en Force rayonnante, ...

« ... en Verbe créateur qui anime [ à travers le fiat du « KûN » divin ] le Vide-vivant. De ce Vide-vivant, Il fait apparaître des formes qu'Il répartit en règnes. »

[ Les règnes du Vivant où les djinns qui en sont dépourvus les empruntes aux créatures qui se rendent disponibles à leurs « dæmons » – des déités d'un ordre inférieur par rapport à celles des ancêtres.

Nous distinguons les anciens qui sont encore parmi nous des ancêtres qui pérégrinent vers la sphère de la réintégration où leurs déités réintègrent la myriade du Vivant. ]

Cf. Amadou Hampâté Bâ – Vie et enseignement de Tierno Bokar. Le Sage de Bandiagara – La parole – Dieu aime-t-il l'infidèle ? (1980)

Hampâté Bâ fait dire à Tierno Bokar qu'on peut comparer le « Vide-vivant » à la notion mathématique du « zéro » comme « potentialité pure » et comme « point initial » qui contiendrait en germe tous les nombres qui sortiraient de lui.

Mais il précise ensuite qu'il ne s'agit pas ici de « néant » mais plutôt de « non manifesté ».

L'esprit cartésien des mathématiques analytiques se répand partout mais se heurte aussi à l'esprit traditionnel de la sagesse africaine.

S'il y avait un « zéro » qui soit comme « point initial » une quantité de rien, il y aurait « 2 » au lieu de « 1 » entre « 1 » et « -1 ».

Le « non manifesté », c'est l'Unique de « l'Un sans second » qui nécessite un second pour se manifester comme le premier.

C'est donc le second qui apparaît en premier pour Le manifester ; c'est à dire la dyade qui prévaut sur l'unité du premier dans l'ordre de la manifestation initiale.

La décade est ici semblable à la dyade et l'annotation du « zéro » qui l'accompagne semblable au second qu'on appelle le « Yi » (2) du « Tao » dans « T'aï-ki » du « Yin » et du « Yang ».

Le « zéro » n'est donc pas le germe des nombres comme « pure potentialité » mais bien leur totalité comme achèvement de leur unité dans l'ordre de la décade.

Rappelons que dans l'ordre de la décade les limites étant « 1 » et « 2 », le plus petit intervalle (1) induit le quaternaire du nombre « 4 » dont elle exprime la somme – « Σ 4 = 10 » – pour la totalité des permutions (4) dans la dyade.

Raison pour laquelle la décade précède la dyade dans l'ordre de la manifestation initiale comme la dyade précède l'unité du premier dans l'ordre des manifestations du « non manifesté ».

   

    

lundi 22 mai 2023

Le lion de Montluçon

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« En 1920, l'écrivain Paul Marty – fonctionnaire de l'Administration coloniale – écrivait :

« Shérif Hama'Llâh n'est encore qu'une source bouillonnante ...

« ... mais une source qui – on peut le prévoir – par la force naissante de son courant, la vertu qui de toutes parts s'attache à ses eaux et à la convergence des ruisseaux voisins va devenir un grand fleuve. »

Cf. Paul Marty – Études sur l'Islam et les tribus du Soudan (1920) cité par Amadou Hampâté Bâ (1980)

Ce que le respectable chargé de mission aux Affaires musulmane de l'Administration coloniale ne pouvait pas prévoir, c'est là où nous mène l'embouchure de ce fleuve en formation :

« Un matin – très tôt – [ en 1940 ] un groupe de gardes vint le chercher. Vêtu d'un léger boubou de coton, il s'avança devant eux. Là encore, il s'interdit de réagir.

« Alors qu'un seul mot de lui aurait pu dresser des milliers d'hommes pour le défendre, il ne voulut même pas entrer dans sa maison pour y chercher des vêtements de peur de réveiller sa famille et que les cris des femmes ne provoquent une émeute.

« Il suivit donc les gardes pour ne jamais revenir. Les rares témoins de cette scène rapportèrent que ses seules paroles furent celles que l'on prononce au pèlerinage et devant la mort :

« Rabbi labaïka ! Rabbi labaïka ! » – « Seigneur me voici ! Seigneur me voici ! »

«  Il fut d'abord emmené à Gorée – au Sénégal – puis à Casseigne – en Algérie – ensuite à Vals-les-bains – en Ardèche – avant d'être transféré à Evaux. Il y contracta une maladie de poitrine et fut transporté à l'hôpital de Montluçon où il mourut en janvier 1943.

« Il repose à Montluçon au Cimetière de l'Est où sa tombe connaît un afflux de plus en plus grand de pèlerins africains. »

« Tel fut le destin extérieur de Shérif Hama'Llâh, l'homme « dont les pieds reposaient très haut au-dessus de cette terre » [ d'après le témoignage initial du Sheykh Muḥammad Lakhdar qui l'avait reconnu comme « Quṭb az-Zaman ».

« Son pied est placé très haut par rapport à la terre ». Ce qui est une image rehaussée de la charge du « Quṭb al-aqṭab » – le Pôle des pôles – assumé par le Sheykh abd al-Qâdir al-Jilânî (1166).

« Celui-là [ avait prédit le Shérif al-Moktar avant sa défection ] le jour viendra – quand son soleil sera à son zénith – où celui qui ne sera pas sous son ombre sera brûlé par son soleil ! »

Cf. Amadou Hampâté Bâ – Vie et enseignement de Tierno Bokar. Le Sage de Bandiagara – La vie – Le maître – Destin de Shérif Hama'Llâh (1980)

   

    

dimanche 21 mai 2023

Le Quṭb az-Zaman de Nioro

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« En 1893, les maisons mères de la Tidjaniya en Algérie reçurent la nouvelle de la prise de Bandiagara par les Français. Il semblait que c'en était fini de l'Empire toucouleur du Macina. L'élan de la Tidjaniya en Afrique noire paraissait brisé.

« On apprit bientôt qu'Amadou Chékou, Commandeur des croyants – « Lamido dioulbé » – qui avait succédé à son père El Hadj Omar dans sa fonction spirituelle, avait quitté le pays, chassé par l'avance française et qu'on avait perdu sa trace.

« La Tidjaniya n'avait donc plus de Calife. »

« Les Chioukh des maisons mères s'inquiétèrent. Le conseil des zaouias d'Aïn-Mahdi et de Témacin se réunit. Les Chioukh savaient par une connaissance ésotérique propre à leur Ordre qu'un grand maître, un « Quṭb » devait se manifester – ...

« ... c'était ce qu'Alpha Hassim Tall avait annoncé à Tierno Bokar – mais ils ignorait où. »

[ Il nous semble cependant que la prise de Bandiagara annonce une échéance que le récit d'Hampaté Bâ situe entre 1910 et 1930 et qui correspond en 1920 à la catabase de l'apocatastase. ]

« À l'issue de leur réunion, ils décidèrent d'envoyer le Cheikh Muḥammad Lakhdar dans les différents territoires d'Afrique au Sud du Sahara avec une double mission : ...

« ... d'une part, rechercher celui qui réunirait les signes annoncés du « Quṭb » et d'autre part, ramener toutes les communautés Tidjani qu'il visiterait à la formule des « onze grains ».

[ La mission du Cheikh Muḥammad Lakhdar présente ici bien des similitudes avec celle du Mullâ Ḥusayn – le « Bâbu'l-Bâb » – à la recherche du Point du « Bayân » – le « Bâb » des Bayânîs : Siyyid 'Alî Muḥammad Shirazî – vers 1844.

Avec le même jeu des nombres qui devaient correspondre pour cet adventisme oriental à la manifestation des dix-huit lettres du Vivant qui sont celles d'al-Ḥayy – le « Ḥâ » (8) et le « Yâ » (10) identifiées à la première et la dernière lettres : Mullâ Ḥusayn et « Quddûs ».

On pourrait pousser la similitude après le martyr du Hadj Muḥammad 'Aliyyî Bârfurûshî – « Quddûs » – de 1849 entre le Shérif al-Moktar à Nioro en 1893 et le Mîrzâ Ḥusayn 'Alî Nûrî – « Bahâ'u'Llâh » – à Bagdad en 1863. ]

« La Tidjaniya n'ayant plus désormais à prendre part à aucun commandement temporel – à aucune action extérieure – elle se devait de revenir au nombre symbolisant la pure contemplation et les seules valeurs spirituelles.

« Cette mutation devait – bien entendu – s'accomplir autant dans le fond que dans la forme ». [ Celle du nombre onze qui a la valeur de l'ipséité divine du Pronom divin : « Huwa » – Lui – pour le « Hâ » (5) et le « Wâ » (6).

Le nombre du Nom de Majesté – « Allâh » (66) – est donc « 72» quand on prend en compte sa cinquième lettre – le « Wâ » (6) de « Huwa » induit par le « Hâ » (5) d'Allâh : « 'Alif » (1) + « Lâm » (30) + « Lâm » (30) + « Hâ » (5) + « Wâ » (6) = « 72 ». ]

« Cheikh Muḥammad Lakhdar prit la route pour accomplir sa double mission sans se douter que son périple durerait des années et qu'il finirait par le conduire à Nioro où – après avoir désespéré de rencontrer celui qu'il cherchait – il le trouverait enfin. »

« Il commença par se rendre en Égypte. De là, il gagna le Soudan anglo-égyptien puis l'Afrique noire, visitant toutes les régions où la Tidjaniya comptait des zaouias. Mais nul part il ne décelait les signes annoncés. »

« Il parcourut le Tchad, le Nigeria, le Niger et enfin, il arriva au Soudan français – le Mali. Il traversa Bandiagara puis – longeant le Niger, continua sur Mopti et Ségou avant d'arriver à Bamako.

« Finalement, il apprit que la ville de Nioro était devenue – après l'abandon de Dinguiraye – le centre des activités d'El Hadj Omar.

« Autre caractéristique frappante, c'était à partir de Nioro qu'El Hadj Omar avait perdu le contrôle de son armée et que le caractère jusque-là purement religieux de sa conquête lui avait échappé.

« Le Cheikh apprit encore l'histoire de cette ville dont le nom exact – « Nûr » – signifie Lumière en arabe coranique. Une trajectoire de Lumière semblait s'être arrêté là. Il se pouvait qu'une autre y prît naissance.

« Il décida de s'y rendre, espérant y trouver ce qu'il cherchait. »

Cf. Amadou Hampâté Bâ – Vie et enseignement de Tierno Bokar. Le Sage de Bandiagara – La vie – Le maître – Origine de la pratique des « onze grains » et des « douze grains » (1980)

La suite du récit raconte la réforme de la communauté de Nioro et la désaffection du Shérif al-Moktar puis l'adoubement du Shérif Hama'Llâh dont la charge n'allait entrer en fonction qu'après le décès du Cheikh Muḥammad Lakhdar en 1909 :

« C'est toi qui est le « Quṭb az-Zaman » – le Maître de l'Heure [ et ] le Pôle du Temps que j'ai cherché partout. »

La narration d'Hampâté Bâ se prévaut du témoignage de témoins directs dûment nommés : Kisman Doucouré – marabout marka de Nioro – Moulaye Ismaïl qui le tenait du Shérif Hama'Llâh et Gata Bâ – membre de la famille royale de Denianké.

   

    

samedi 20 mai 2023

Le Quṭb al-aqṭab du Quṭb al-maktum

...

[ « On sait que la Tidjaniyya – confrérie née en Algérie dans les plus pures traditions du soufisme [ « khâlwatî » ] – avait pénétré le monde [ nègre ] selon trois voies :

- l'une qui venait directement du Nord, descendant de l'Algérie vers le Soudan et Tombouctou ;

- l'autre qui venait de l'Ouest par le fleuve Sénégal ;

- la troisième enfin qui venait de l'Est par l'entremise d'El Hadj Omar qui l'avait ramenée de La Mekke. » ]

[ « L'un des êtres les plus hautement spirituel de la Chrétienté se disait l'époux de « Dame Pauvreté » [ le Poverello d'Assise ] ; Tierno – lui – avait épousé « Dame Charité. » ]

« Quelque temps après la mort de sa mère [ en 1927 ], Tierno reçu une lettre qui devait jouer un rôle capital dans son l'orientation ultérieur de sa vie spirituelle.

« Cette lettre émanait d'Alpha Hassim Tall – le frère du roi de Bandiagara – qui s'était retiré au Hedjaz – en Arabie.

« Alpha Hassim Tall lui rapportait par le menu les persécutions que le jeune régime wahhabite faisait subir aux tenants des confréries.

« Ces « puritains de l'Islam » s'attaquaient violemment à toutes les manifestations ou survivances du soufisme en Arabie. »

« Alpha Hassim Tall – inquiet peut-être au sujet de l'avenir de la Tidjaniya – entretenait longuement Tierno de ce problème et lui transmettait quelques secrets connus des seuls grands initiés de l'Ordre.

« Il lui disait – notamment – qu'avait été annoncé la manifestation prochaine – au sein de la Tidjaniya – d'un maître spirituel – [ un ] « Quṭb » ou [ un ] Pôle – dont la mission serait de revivifier la Tidjaniya.

« Des détail extrêmement précis étaient donnés sur les signes distinctifs qui permettrait de reconnaître cet homme prédestiné.

« Il était également indiqué que son origine familiale serait indifférente, ce qui impliquait qu'il pouvait surgir dans n'importe quel milieu. »

« Enfin, Alpha Hassim Tall précisait à son correspondant les prières spéciales à dire, les mortifications à s'imposer qui l'aideraient à reconnaître – sans risque d'erreur – le flambeau lorsqu'il apparaîtrait.

« Parmi ces mortifications figurait un jeune de trois ans [ ce qui laisse supposer une échéance vers 1930. ] Tierno Bokar [ ... ] observa à la lettre toutes ces recommandations. »

« Cela se passait aux environs des années trente. Or – à cet époque – un mouvement religieux propre à la confrérie Tidjani secouait les communautés musulmanes des zones soudanaises et sahéliennes.

« Un adepte Tidjani de la ville de Nioro – Cheikh Hama'Llâh qu'on appelait Shérif parce qu'il était descendant du Prophète par son père – avait été élevé à la dignité de Calife de l'Ordre.

« Il avait reçu pour mission [ ... ] de faire retourner la Tidjaniya à sa source et de la faire revenir [ ... ] à la pratique originelle de la « wasifa » consistant à réciter l'oraison [ de la ] « Djawharatu'l-kamal » onze fois et non douze. » [ ... ]

[ « L'oraison de la Perle de la perfection fut révélée par le Prophète Muḥammad en vision à Si Aḥmad Tidjani un jour de 1781 à Bar-Semghoum en Algérie avec injonction de la réciter onze fois [ une ou deux fois par jour. ]

« La récitation par douze fois fut introduite par les grands élèves du fondateur et reprise par la suite par certaine branches de la Tidjaniya dont la branche omarienne » [ de Bandiagara. ]

Hampâté Bâ attribue le « onze grains » à la « maison mère » d'Aïn Madhi sans préciser ni le lieu ni la date mais en écrivant que « cela se pratique toujours » en 1980. ]

« Le « Hamallisme » – ainsi nommé par l'Aministration française de l'époque – allait s'étendre des rives du Sénégal au Gobir et des portes du Sahara au cœur de la forêt.

« Les hommes religieux échangeaient des lettres, se posaient des questions [ mais ] les Tall – descendants ou parents d'El Hadj Omar – avaient appris de ce dernier à réciter la Perle de la perfection douze fois.

Ils prirent donc une position de farouches opposants envers ceux que l'on appela – en raison du nombre de grains [ sur ] leur chapelet – les « onze grains ».

[ « L'importance du nombre onze vient de sa signification dans la symbolique [ numérique ] musulmane. Il est le nombre de la spiritualité pure et de l'ésotérisme car il symbolise l'unité de la créature liée à l'unité du Créateur.

« Il est la clef de la communion mystique. Ce nombre joue un grand rôle tant le symbolisme musulman que dans les traditions africaines. »

Disons plus sobrement qu'il articule l'unité de la décade (10) et l'unicité de la monade (1) en arithmétique.

« Le nombre douze qui en est issu symbolise [ ... ] l'action dans le monde et le sacrifice. Le douze est [ ... ] une émanation du onze pour des raisons arithmosophiques » [ qu'Hampâté Bâ juge trop longues à développer et qui nous échappent. ]

« Tall par sa naissance et grand par son rayonnement, Tierno Bokar fut invité à mêler sa voix au chœur des malédictions [ proférées à l'encontre des « onze grains ». ]

« Mais il était inconcevable pour un homme comme Tierno de porter un jugement de valeur sans avoir entendu l'incriminé et sans disposer d'éléments de comparaison.

« Il ne prit donc pas position et secrètement attendit l'occasion de se rendre à Nioro pour juger par lui-même.

« Cette occasion [ ne ] lui sera donnée qu'en 1937. [ ... ] Tierno rencontra le Shérif Hama'Llâh, [ ... ] il le reconnut pour celui qui lui avait été annoncé par Alpha Hassim Tall et [ cette reconnaissance ] fut la cause de toutes ses épreuves. »

Cf. Amadou Hampâté Bâ – Vie et enseignement de Tierno Bokar. Le Sage de Bandiagara – La vie – Le maître – La zaouïa de Bandiagara (1980)

   

    

vendredi 19 mai 2023

Le sage de Bandiagara

...

« Le 10 mars 1861, El Hadj Omar [ Tall ] entrait à Ségou, capitale du royaume bambara. »

« Lorsqu'en 1862 apparut El Hadj Omar, Grand Maître de l'Ordre Tidjanî et qu'il conquit l'Empire [ peul ] du Macina, cet empire [ fondé en 1818 ] avait déjà commencer à se désagréger spirituellement ... »

« La Tidjaniya, confrérie religieuse des Toucouleurs simposa sur la rive droite du Niger tandis que la confrérie kounti gardait son influence sur tout le Macina. »

« En 1885, Amadou Chékou [ l'un des fils d'El Hadj Omar ] se rendit [ de Ségou ] à Nioro pour barrer la route aux armées d'occupation françaises, alors commandées par le colonel Archinard. »

« Au début de 1890, alors que Ségou était à la veille de tomber entre les mains des Français, Tierno Bokar [ Salif Tall ] alors âgé de quinze ans [ avait reçu de son grand-père maternel – El Hadj Saydou Hann – une influence religieuse. ]

El Hadj Saydou Hann qui mourru en mars 1890 était un « grand mystique soufi formé à l'école de la Qadiriya avant d'être entré dans l'Ordre Tidjani » sous l'influence d'El Hadj Omar.

Après avoir rendu Ségou aux Diarra – « représentants de la vieille famille royale Bambara » – Archinard fit rétablir les droits des Toucouleurs à Bandiagara en y faisant monter Aguibou Tall sur le trône d'un royaume fondé par son cousin Tidjani dès 1864.

C'est ainsi que Bandiagara devint le fief de Tierno Bokar où il avait trouvé refuge après la mort de son grand-père et qu'Hampâté Bâ en fit un Sage avec la complaisance de son éditeur français – Marcel Cardaire – soucieux d'en rétablir l'honneur.

Officier français aux Affaires musulmanes, Marcel Cardaire est présenté par Hampâté Bâ comme « l'élève du grand ethnologue Marcel Griaule » qui publiait un livres assez remarquable sur la mythologie dogon en 1948 – « Dieu d'eau ».

C'est aussi le cosignataire en 1957 du livre qu'Hampâté Bâ réécrira plus tard, sans doute pour le dégager des « intérêts » et du « prestige » colonial « de son pays » mais sans se départir de l'académisme anthropologique qui le caractérise.

Tailleur-brodeur de condition plus que modeste, Tierno Bokar se détourna sur le conseil de sa mère de la carrière des armes que sa parenté avec Aguibou Tall lui rendait pourtant accessible :

« Plutôt que d'ôter la vie aux hommes [ lui dit-elle ] apprends à couvrir leur nudité corporelle avant d'être appelé à l'honneur de pouvoir couvrir leur nudité morale ou spirituelle en leur prêchant l'Amour. »

Honneur qui lui vint au décès de son maître après huit années d'étude à Bandiagara sous la direction d'Amadou Tafsirou Bâ – « grand mystique de l'Ordre Tidjani » – et le temps qu'il passa dans la province de Louta auprès de sa belle-famille après son mariage.

Cf. Amadou Hampâté Bâ – Vie et enseignement de Tierno Bokar. Le Sage de Bandiagara – La vie – Racines (1980)

« Trois jours par semaine, les élèves de l'écoles coranique avaient congé. Pendant ces trois jours, Tierno tenait chez lui des réunions ouvertes à tous, cosacrées aux enseignements de la Tidjaniya. Tous les marabouts de la ville venaient l'écouter.

« Le vieux Alpha Ali – à l'époque le plus grand maître d'école coranique de Bandiagara – lisait des passages de [ la ] « Diawharatul-maani » – la Perle des significations – le livre majeur de Cheikh Aḥmad Tidjani.

« Tierno Bokar qui était Cheikh de la confrérie, commentait et interprétait ces passages, d'abord selon les enseignements de Cheikh Aḥmad Tidjani lui-même, ensuite selon le livre d'El Hadj Omar « ar-Rimma'a » – les Lances – ...

« ... enfin selon le fruit de ses propres méditations – de son « ijtihad ». C'est à la qualité de son « ijtihad » qu'il devait sa réputation de maître enseignant. »

« Quant aux aspects plus spécifiquement ésotériques de l'enseignement de la Tidjaniya – science des nombres, des lettres et des formes géométriques – il les dispensait individuellement selon les aptitudes de chacun.

« De même, c'est individuellement qu'il nous guidait sur le chemin du perfectionnement intérieur [ et utilisait ] « une méthode mnémotechnique » [ en traçant ] « sur le sable avec son index ...

« ... une série de points qui peu à peu s'ordonnaient en un schéma simple qui frappait l'attention et se gravait aisément dans la mémoire. »

Plusieurs schémas illustrent les vingt-deux points du « Pacte primordial » [ S 7 V 171 ], ceux de la religion et ceux de la « Sharia bathénienne » – la Loi intérieure – pour la Synthèse de l'enseignement ésotérique : le soufisme et la Voie tidjane.

Cf. Amadou Hampâté Bâ – Vie et enseignement de Tierno Bokar. Le Sage de Bandiagara – L'enseignement (1980)

- dix-neuvième point du « Pacte primordial » : « Acquiers le premier soixantième [ du Noble Coran ] ou à défaut la connaissance des onze sourates suivantes » [ qui suffisent largement ] : « 1 » + « 10 » de « 105 à 114 » qui font cinquante-cinq versets.

Le Sage joue ici avec le nombre « dix-neuf » qui correspond à celui des lettres de la « basmala » et avec le nombre « onze » qui correspond à celui du « dhikr » de la « djawharatu'l-kamal » pour la « wazifa » du « wird » des « hamallistes ».

Or, nous n'avons trouvez qu'une unité de quarante versets comprenant la « Fâtiḥa » (1) et les « Mu'awidhatan » (113 et 114) à l'intérieur du « Kawthar » (108) construit sur un septénaire – de 108 à 114 – semblable à celui des sept versets de la Première.

Le verset ineffable est celui de la « basmala » qui apparaît comme entête sur chacune de ces sourates sans être compté au nombre de leurs versets ; sauf pour la première d'entre elles et conformément à la suite du quaternaire :

« (1) + (2 x 2) + (3 x 3) + (4 x 4) + (2 x 5) »

« (1) + 4 + 9 + 16 + 10 »

« 40 »

Mais le nombre des cinquante-cinq versets de ces onze sourates donne une image assez similaire de la quintessence qui se dissimule dans la paire de cinq de la décade qui caractérise la figure du pique pour la suite du quaternaire.

Ce qui montre une méditation plutôt convergente vers la réalité efficiente de ces nombres là où ils apparaissent.

Les « dhikr » de la « tariqa » tidjane et les trois piliers du « wird » :

1. « Lazim » [ les trois cents deux fois par jour (600) ] :

- cent fois « Astaghfiru'Llâh » : Demande de pardon à Dieu – « Tawba »

- cent fois « Salatu'l-Fatihi » : Prière de l'Ouverture sur le Sceau des prophètes – « Taṣliya »

- cent fois « Lâ ilâha illa Llâh » : Attestation de l'Unicité divine – « Tawḥid »

2. « Wazifa » [ une ou deux fois par jour (360) + (22) ] :

- trente fois « Astaghfiru'Llâh al-'Adhîm iladhî lâ ilâha illa Huwa al-Ḥayy al-Qayyûm »

- cinquante fois « Salatu'l-Fâtiḥî » : Prière de l'Ouverture sur le Sceau – « Taṣliya »

- cent fois « Lâ ilâha illa Llâh » : Attestation de l'Unicité divine – « Tawḥid »

+ onze ou douze fois * « Djawharatu'l-kamal » : Perle de la Perfection – « Ḥaqîqa »

3. « Tahlil » [ le jour de la « Jumu'a » (1.000) + (600) ] :

- mille fois « Lâ ilâha illa Llâh » : Attestation de l'Unicité divine – « Tawḥid »

+ six cents fois « Allâh » : Le Nom de Majesté – « Jalâl »

* Onze ou douze selon les obédiences, Tierno Bokar étant passé de douze à onze.

Salutation et Paix sur le Noble Prophète
l'Ouverture et le Sceau
Témoin de la Vérité par la Vérité
et Guide sur la Voie
de ceux qui le suivent

A M Y N
   

    

mardi 16 mai 2023

La perle blanche

...

« Aux environs de 1905-1906, un différend d'ordre religieux avait éclaté à Nioro du Sahel (Mali) entre différentes branches de la confrérie Tidjani à propos des modalités de récitation d'une certaine prière.

[ « La « Djawharatu'l-kamal » [ la Perle de la perfection ] est une prière traditionnelle de bénédiction sur le Prophète. Toutefois à travers le Prophète de l'Islam – dont le nom ne figure pas dans ce texte contrairement à toutes les autres formules du même genre – ...

« ... on s'adresse ici à la Réalité prophétique éternelle – le Logos dirait-on en d'autres lieux – appelée en arabe la « Nûr muḥammadiya » – la Lumière muḥammadienne – Prime intelligence créée par Dieu, antérieure à toute manifestation ...

« ... qui tout à la fois contient et pénètre toutes choses et dont le Prophète Muḥammad est [ le prototype ] et la manifestation dans le temps et dans l'histoire où il apparaît le dernier [ à apparaître comme intelligence parmi les prophètes. ]

« Pour l'Islam ésotérique, c'est cette même Lumière prophétique éternelle qui s'est exprimée à travers tous les Prophètes et [ tous les ] Envoyés de Dieu. » ]

[ « ... chez les Tidjani, on efforcera à l'immobilité. [ ... ] La Perle de la perfection en particulier devra être récitée dans un état d'immobilité totale. » ... ]

« À partir de 1917, le conflit prit une proportion telle que l'Administration coloniale fut amenée à s'occuper de la question.

« Elle ouvrit un dossier qu'elle intitula « Hamallisme » – étiquette tirée du nom de Cheikh Chérif Hamallâh, chef de l'une des deux branches tidjaniennes en cause [ ... ].

« Ses partisans reçurent le nom de « Hamallistes » et leurs adversaires le nom de « Omariens » parce qu'ils relevaient de la branche tidjanienne issue du grand chef religieux El Hadj Omar. »

[ « Les Hamallistes [ ... ] ne sont en fait que des Tidjani ... » ]

« [ Le ] maître et [ le ] père spirituel [ d'Amadou Hampâté Bâ ] Tierno Bokar – lui-même Cheikh de la confrérie Tidjani dans la branche omarienne – appartenait à la famille d'El Hadj Omar.

« Pourtant – en 1937 – dédaignant les ennuis qui ne manqueraient pas de s'abattre sur lui, il reconnut la validité spirituelle de Chérif Hamallâh et se plaça sous son obédience. [ ... ]

« Dès lors, Tierno Bokar fut violemment combattu par ses cousins omariens. Ces derniers qui comptaient des membres très influents auprès du gouvernement général de [ l'Afrique Occidentale Française (1895-1958) ] ...

« ... réussirent à déclencher l'intervention de l'Administration coloniale en faisant passer pour une affaire politique de tendance « anti-française » ce qui n'était qu'un conflit d'ordre religieux et local. »

[ Mais à contrario, cette présentation du conflit tend à faire de ses adversaires une branche en collusion avec l'Administration coloniale. ]

« La Tidjaniya fut l'un des derniers ordres apparus puisqu'elle prend sa source en Cheik Aḥmad Tidjani qui naquit en 1150 / 1737 à Aïn Mahdi en Algérie. Il mourut en 1230 / 1815 à Fès au Maroc où se trouve son tombeau.

« ... Cheik Aḥmad Tidjani en plus de l'inspiration personnelle qu'il reçu directement du Prophète était l'héritier des « tourouq » les plus importantes de son temps :

« Qadriya, Shadiliya, etc. » [ Hampâté Bâ cite encore la Suhrawardiya et les « Mewlevi » de « Mawlâna » [ Jalalu'd-Dîn Rumi (672 / 1273) ]

[ En vérité, la Tijâniyya est sur l'une des deux branches du « néo-soufisme » : elle est issue de la Khalwatiyya avec la Raḥmaniyya et la Sammâniyya.

L'autre branche du « néo-soufisme » est celle de l'Idrîsiyya d'où sont issues la Sanûsiyya, la Khatmiyya et la Rashîdiyya.

L'inspiration personnelle dont il est question rend cet héritage plutôt improbable. Par contre celui de la Khalwatiyya transcende le « néo-soufisme » qui caractérise l'Idrîsiyya à moins de considérer l'Idrîsiyya comme une émanation particulière de l'Akbariyya. *

La nature de cette inspiration doit même inverser la proposition et considérer son antériorité comme l'héritage de toutes les « tourouq » de même que l'antériorité de la Réalité muḥammadienne est l'héritage de tous les prophètes.

« Ibn el Arabi » et « Ghazali » sont présentés ici comme « des grands maîtres à penser » dans un syncrétisme approximatif – « la doctrine enseignée » étant « partout la même » à « quelques détails près ». ]

Cf. Amadou Hampâté Bâ – Avant-propos [ à la ] Vie et [ à ] l'enseignement de Tierno Bokar. Le sage de Bandiagara [ et ] Annexe [ au ] Soufisme et [ aux ] confréries en Islam (1980)

Renvoyant les chaînes de transmission – « silsila » – des confréries vers 'Alî ibn abû Tâlib ou Abou Bakr, Hampâté Bâ note « onze Imams – douze avec 'Alî » ce qui renvoi les « ahl al-Bayt » vers leur pôle : Fatima Zohra – la fille du Sceau des prophètes.

Nous comptons « onze » – douze avec « al-Mahdî » que nous identifions au Sheykh al-Akbar sachant que la branche ismaélite sur le tronc ja'farite ne compte pas Ḥasan ibn 'Ali – le deuxième entre 'Ali et Ḥusein sous le manteau des cinq pour les « ahl al-Burda ».

En comptant Ḥasan ibn 'Alî nous nous arrêtons avec Raḍî abdu'Llâh (881). Ce qui fait pour elle : « dix » – onze avec Ḥasan ibn 'Alî. Et pour la branche mûsaïde : « onze » avec Ḥasan al-'Askarî ibn 'Alî al-Hâdî ou al-Naqî (874) – date de l'occultation.

En vérité, c'est dix à partir du pôle – Fatima Zohra – et le onzième – l'Imam du Tawḥid – c'est le retour du premier avec la décade que le premier soit « ḥasannî » ou « 'aliyyî ».

* « Il convient de souligner [ ... ] que le maître spirituel d'ibn Idrîs (1837) – 'abd al-Wahhâb at-Tâzî fut en contact étroit avec le milieu « akbarien » de son époque puisqu'il fut à la fois le disciple de Muḥammad al-Hifnî (1767) – ...

« ... lui même disciple de Nâbulusî (1731), éminent représentant de l'école akbarienne dans la Syrie ottomane – et celui de son principal héritier – Maḥmûd al-Kurdî (1781), lecteur assidu des « Futûhât makkiyya » ...

« ... et qui – selon le témoignage de l'historien Jabartî (1826) – rédigea un commentaire des « Fusus al-Hikam » à la suite d'une vision d'ibn Arabî. »

Cf. Claude Addas – La Maison muḥammadienne. Aperçus de la dévotion au Prophète en mystique musulmane – « Muḥammad n'est absent d'aucun lieu à aucun moment » – « Unis-moi à lui » (2015)

Ce que la réfutation du « néo-soufisme » remet en question, c'est la discontinuité dans la continuité qui relève de l'économie cyclique et de la science d'al-Khidr – autre référence d'Aḥmad ibn Idrîs par l'intercession du « Kitâb al-Ibrîz » d'ibn ad-Dabbâgh (1719).

« Contemporain de Najm ad-Dîn Kubrâ (1221), ibn Arabî [ ... ] ne mentionne jamais la fameuse tradition [ concernant la Lumière du Prophète dont il fait usage dans son « tafsîr » ] remontant à Jâbir ibn 'abd Allâh – du moins dans sa forme la plus répandue.

[ « L'émir 'abd al-Qâdir [ al-Jazâ'irî ] cite [ ... ] une tradition que l'on rencontre notamment [ chez ] Tha'labî (1035) qui évoque la création du Prophète à partir d'une « Perle blanche » – « Durra al-bayda ». [ ... ]

« Ibn Arabî identifie la « Perle blanche » au « aql » [ l'Intellect ] et au « qalam » [ le Calame ] et indique avoir rédigé un traité intitulé « La Perle blanche ».

Cf. Claude Addas – La Maison muḥammadienne. Aperçus de la dévotion au Prophète en mystique musulmane – « En vérité, tu es d'un caractère sublime » [ S 68 V 4 ] – « N'eût été toi, Je n'aurais pas créé le monde » (2015)

   

    

samedi 13 mai 2023

Poussière de flammes

 ...

« Le problème [ de la transmission des connaissances et de la circulation des idées pour les trois premiers siècles de l'hégire ] est d'autant plus complexe que sunnites et chiites revendiquent l'héritage de l'Imam Ja'far [ as-Sâdiq ] (765) ...

« ... dont l'enseignement a profondément marqué les spirituels de l'une et l'autre de ces communautés.

« Massignon relève d'ailleurs que certaines « chaînes de transmission » attribuent à l'imam Ja'far la mise en circulation d'un hadith « qudsî » – un propos « divin » – qui fait état de la primogéniture du Prophète ...

« ... par le biais d'une « poignée » – « qadba » – de la « Poussière primordiale » à laquelle Dieu ordonne : « Sois Muḥammad ! » – « Kûnî Muḥammad ! »

[ « Il est à noter que contrairement à ibn Arabî – lequel [ ... ] ne cite aucune des traditions qui ont fleuri sur le thème du « nûr muḥammadî », l'émir 'abd al-Qâdir [ al-Jazâ'irî ] fait référence à ce « khabar » [ cette tradition. ]

« Rappelons que certains « ghulât » identifiait Fâtima à ce « kûni ». ] [ ... ]

« L'idée étant ici que le Prophète constitue la « materia prima » ou pour reprendre la terminologie propre au soufisme, la « Poussière primordiale » – « al-Habâ' » – dont est issue la Création toute entière. »

Cf. Claude Addas – La Maison muḥammadienne. Aperçus de la dévotion au Prophète en mystique musulmane – « En vérité, tu es d'un caractère sublime » [ S 68 V 4 ] – « Une lumière vous est venue de la part de Dieu » [ S 5 V 15 ] (2015)

Nous suivons l'index de la Maison muḥamadienne sous les rubriques « habâ' » et « Ja'far as-Sâdiq » :

- « Ibn Arabî (1240) indique à ce propos dans le chapitre des « Futûhât » dont l'objet est le « Commencement du monde » que Sahl at-Tustarî (896) et 'Alî ibn abû Tâlib (661) ont évoqué cette « Poussière primordiale ».

« De fait, il en est question dans un bref opuscule de Tustarî consacré au symbolisme des lettres, lequel aura une influence durable sur les écrits ultérieurs relatifs à la « science des lettres » [ « ilm al-hurûf ». ] [ ... ]

- « Sulamî (1021) rapporte en effet à propos du premier verset de la sourate 68 – à savoir la lettre « Nûn » que l'imam Ja'far [ ... ] identifie à la « Lumière muḥammadienne » [ ... ] – un propos dont il attribue la paternité à ibn 'Atâ' (922) ...

« ... et qui n'est pas sans rappeler l'interprétation de l'imam quoique formulée autrement :

« Il a voulu dire par là : la lumière [ éternelle ] [ attribuée à la pré-éternité ] dont Il a créé toutes les lumières et par laquelle Il a illuminé l'être intime [ le secret ] – « sirr » – de Son [ bien ] aimé [ le Sceau des prophètes ] – sur lui la Grâce et la Paix – ...

« ... et les cœurs des « awliyâ' » de sa Communauté » [ des amis de Dieu parmi les bénéficiaires de Sa miséricorde. ] [ ... ]

- « Ibn Masarra (931) privilégie [ ... ] la notion de « materia prima » que traduit l'expression de « Poussière primordial » – « al-Habâ' » – pour rendre compte de la préexistence du Prophète et de la modalité de sa fonction cosmogénératrice [ sic ].

« C'est une approche plus philosophique – au sens de « hikma » [ sagesse hermétique ] et non de « falsafa » [ philosophie spéculative ] – qui est celle [ du ] « Traité des lettres » attribué à Tustarî.

- « D'autres écrits d'ibn Arabî – en mode discursif – s'adressent – au-delà des disciples – aux « esprits rationnels » – « ahl an-nazar » – et en usant d'un vocabulaire qui leur est familier, ....

« ... celui de la spéculation philosophique que les « Épîtres des Frères de la Pureté » avaient répandu en Andalousie.

« Tel est le cas du [ sixième ] chapitre des « Futûhât ». Sans renoncer au lexique traditionnel, ibn Arabî le met en correspondance avec celui de la « falsafa » : ...

« ... il identifie – par exemple – la « Poussière primordiale » à la « hayûlâ » – forme arabisée du grec « hylé » – et – à la fin de ce chapitre – fait référence aux catégories aristotéliciennes :

« Le commencement de la Création, ce fut la « Poussière primordiale » [ « al-Habâ » ] en laquelle le premier étant [ la première créature ] fut la « Réalité muhammadienne » [ « al-aqîqa muḥammadiyya » ] procédant Nom [ divin ] « ar-Raḥman ».

« Puis Il [ le Créateur ] s'est épiphanisé [ sic ] par Sa lumière à cette Poussière – que les gens de la spéculation appellent la « materia prima » [ « al-hâyûla » ] – en laquelle l'univers entier se trouvait en puissance.

« Chaque chose qui se trouvait en cette « Poussière » reçut [ « de cette théophanie » ] à la mesure de sa capacité et de sa prédisposition.

« Et rien, dans cette « Poussière » n'était plus proche de Lui [ « ar-Raḥman » ] pour recevoir cette théophanie que la « Réalité » de Muḥammad – sur lui la Grâce et la Paix – qu'on appelle aussi « l'Intellect » [ « al-'aql ». ]

« Il est donc le maître de l'univers et le premier qui apparut dans l'existence. »

Cf. Claude Addas – La Maison muḥammadienne. Aperçus de la dévotion au Prophète en mystique musulmane – « Et nous ne t'avons envoyé si ce n'est vers la totalité des hommes »   [ S 34 V 28 ] – « J'étais prophète... » (2015)

La Matière philosophale précipite la Lumière muḥammadienne dans sa Réalité métaphysique où Elle apparaît comme la « Raḥmaniyya » d'Allâh – Sa miséricorde.

L'épiphanie tient lieu de précipitation dans un processus alchimique où la Réalité prophétique est une Pierre philosophale dont les vertus sont des théophanies.

Pour la science des lettres ja'farite à laquelle Sulamî et ibn Masarra font référence, cette Lumière primordiale émane de la lettre « Nûn » dans le « Kûn » divin – son « fiat lux » biblique ordonnant le « tohu-bohu » originel – cf. Gn I 2 et 3.

Le « fiat » du « Kûn » divin s'exprime ainsi directement à trois reprises – sans passer par la Lumière originelle – pour la création de l'Esprit muḥammadien qu'ibn Arabî identifie à l'Intellect puis pour celle d'Adam et d'Isâ ibn Maryam – cf. S 3 V 59.

Celle d'Adam vise à donner – de prophète en prophète – un support corporel à la manifestation de la Lumière qui en émane et celle du Christ à la recevoir dans son prototype adamique à la fin des temps – prototype alors transfiguré par cette réception.

Ce que Taqî ad-Dîn Subkî (1335) exprime à son tour en réfutant la réfutation – celle d'ibn Taymiyya (1328) que Qastallânî (1517) identifie ensuite à l'imâm al-Ghazâlî (1111) :

« Il est établi que Dieu a créé les esprits [ et les djinns ] avant les corps.

« Ainsi sa parole « J'étais prophète alors qu'Adam était entre l'esprit et le corps [ « entre l'eau et l'argile » ] peut référer soit à son noble esprit soit à une réalité – « haqîqa » – d'entre les réalités [ « suprasensibles » ] ...

« ... car nos intellects sont incapables de connaître les réalités [ « suprasensibles » ].

« Dieu seul les connaît et ceux [ les « awliyâ' » les plus proches ] qu'Il assiste d'une lumière divine [ d'une vision prophétique ]. [ ... ]

« Ainsi donc sa réalité était-elle présente dès lors – quand bien même son apparition physique n'advint que plus tard. [ ... ]

« De là, on sait que ceux qui interprètent [ ce « hadîth » ] comme signifiant que Dieu savait qu'il serait prophète ne son pas parvenus au sens [ « véritable » ] [ de cette assertion. ]

« si la signification en était seulement la science que Dieu avait de ce qu'il deviendrait prophète, cela ne constituerait pas une spécificité propre au [ Sceau des prophètes ] car Dieu savait de tous les prophètes qu'ils deviendraient prophètes. »

Cf. Claude Addas – La Maison muḥammadienne. Aperçus de la dévotion au Prophète en mystique musulmane – « Le Prophète est plus proche des croyants qu'ils ne le sont de leurs propres âmes » [ S 33 V 6 ] – «  Mes yeux dorment mais mon cœur ne dort point » *

* Assertion qu'on attribue au Sceau des prophètes parce qu'il « entend et répond à celui qui appelle les bénédictions sur lui » mais qui vient du « Cantique des cantiques » – cf. Ct V 2.