vendredi 30 septembre 2022

Le Chaturanga

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« La plupart des historiens sont [ ... ] d'accord [ ... ] pour admettre que les échecs firent leur première apparition au Ve siècle de [ ... ] l'ère [ chrétienne ] au Nord de l'Inde.

« Le jeu de cette époque s'appelait Chaturanga [ Chatrang en persan ] qui signifie « quatre Rois ». Il se disputait sur 64 cases [ quadrillées ] mais se jouait à quatre partenaires.

« Chacun jouait pour soi-même et devait lancer un dé qui désignait impérativement la pièce à jouer. » [ Le dé fut supprimé en Perse. ]

« Il y avait [ ... ] six pièces différentes : le Roi et le Ministre étaient placés au milieu, comme [ le ] Roi et [ la ] Dame le sont maintenant ;

« ... à leurs cotés deux éléphants [ le Fou ] ;

« .... puis symétriquement deux cavaliers ;

« ... et dans les coins, deux chars. [ la Tour ]

[ Mais avec quatre joueurs ces pièces devaient être réparties et ne laisser que sept pièces par joueur sur la première rangée. ]

« Enfin, alignés sur la deuxième rangée venaient les [ ... ] fantassins. » [ le Pion ]

[ Idem pour les quatre joueurs avec douze pièces par joueur dont cinq pions sur la deuxième rangée.

Ce qui laisse un Carré de quatre au milieu – « 4² » – avec seize cases quadrillées. ]

« La règle fondamentale était la même qu'aujourd'hui : il fallait prendre le roi de l'adversaire pour gagner la partie. »

« Par contre, seul le Roi, le Cavalier et le Char possédaient le même mouvement qu'aujourd'hui.

« Le Ministre allait en diagonale d'une case autour de lui. Il était donc deux fois moins mobile que le Roi. » [ ... ]

« L’éléphant allait lui aussi en diagonale mais deux cases à partir de sa position de départ. »

« Quant au fantassin, [ ... ] il avançait d'une case en avant et prenait en diagonale, ne pouvait jamais reculer mais n'avait pas [ encore ] le privilège de pouvoir être poussé de deux cases pour son premier coup. » [ ... ]

« En 842 fut écrit [ en Arabe ] le « Livre des échecs » [ qui se joue à deux ] par al-Adli. » ...

« [ Pour y introduire les fous ] les [ 64 ] cases furent partagées en 32 cases blanches et autant de noires » [ dans les universités maures d'Espagne. ]

« Ce n'est qu'au XVe siècle que les pièces allaient avoir les noms et les marches des pièces actuelles. »

« Le Ministre des Indiens était devenu Vizir chez les arabes, puis Fers en Europe de l'Est. Désormais, ses pouvoirs sont multipliés et on l'appelle la Dame. »

«  L’éléphant devenu Alfil sera maintenant le Fou et possédera les diagonales. »

« Le fantassin transformé en pion augmente légèrement sa force en début de partie, car il peut maintenant avancer de deux pas à son premier coup.

« La promotion du pion arrivé à la huitième rangée est introduite. Il peut se transformer en n'importe quelle pièce déjà prise. » [ ... ]

« Enfin, l'importante règle du roque apparaît à cette époque mais sous une forme ancienne qui était le roque libre :

« ... le roi pouvait aller sur n'importe quelle case de la première rangée – y compris le coin – la tour passant par dessus mais se fixant sur la case de son choix. » [ ... ]

« Lucena écrit en 1485 son célèbre « Manuscrit de Göttingen » qui contient des principes encore valable à l'heure actuel. » [ ... ]

« Pierre Carrera, prêtre de Syracuse, publia en 1617 un « Traité du jeu d'échecs » qui réunissait les écrits des théoriciens précédents, ce qui en fit donc une compilation de la première importance.

« Le trait original de Carrera fut qu'il préconisait de changer les règles du jeu en agrandissant l'échiquier et en introduisant deux nouvelle pièces. »

« Selon Carrera, il aurait fallu changer l'échiquier en damier, [ « 10² » ]

« ... placer entre la Tour et le Cavalier du Roi un Champion dont la marche aurait été l'addition de celle de la Tour et de celle du Cavalier,

« ... et enfin ajouter entre la Tour et le Cavalier [ de la ] Dame un Centaure qui aurait combiné la marche du Cavalier et celle du Fou. »

Cf. Nicolas Giffard – La fabuleuse histoire des champions d'échecs (1978)

Comme semble l'avoir pressenti Carrera, il y a un rapport symbolique entre les cent cases du damier et les dix décades du Carré de quatre qui apparaît au centre du jeu des quatre Rois quand la décade interne est ordonnée sur celles des diagonales.

C'est la raison pour laquelle la Base – « ad-Da'im » – du jeu de Dames a finit par qualifier le Vizir en dotant son effigie de toutes les possibilités de déplacement – possibilités qu'elle partage en partie avec le Roi et le Cavalier dans toutes leurs étendues.

Avec quatre axes et huit directions, elles cumulent celles de la Tour et du Fou – le Pion ne se déplaçant que sur un seul axe et dans une seule direction mais prenant en biais.

Il faut par conséquent relativiser la datation d'une telle invention qui a du se construire sur une figure antérieure – une sorte de « Yantra » – comme en témoigne de nombreuses légendes ; telle celle qui oppose le Bouddha au jeu de hasard.

Giffard précise bizarrement qu'il interdit la pratique du Chaturanga le Dimanche.

Chaturanga à 64 pièces
   

    

mercredi 28 septembre 2022

L'évangile selon K. Dick

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« La chronique des aventures de Paul entre son départ de Philippes et son retour, sept ans plus tard [ que Carrère situe entre 50 et 58 ] est dans les Actes [ des apôtres ] passablement embrouillée.

[ Carrère commence son récit là où Luc s'invite dans la biographie de Paul – au chapitre XVI des Actes des apôtres.

Le proconsulat de Galion à Corinthe entre juillet 51 et juin 52 lui sert de repère pour la chronologie des voyages de Paul. ]

« Et pour cause : Luc [ qui rédige les Actes ] n'y était pas. Mais on dispose pour compléter son récit d'un autre document d'une valeur absolument exceptionnelle puisqu'il émane de Paul lui-même : ce sont les lettres qu'il écrivait à ses églises. »

« Dans toutes les éditions du Nouveau Testament, on les trouve sous le nom pompeux d'épîtres – qui ne veut rien dire d'autre que « lettres » – après les [ quatre ] Évangiles et les Actes.

« Cet ordre est trompeur : elles leur sont d'au moins vingt ou trente ans antérieures. Ce sont les plus anciens textes chrétiens, les premières traces écrites de ce qu'on n'appelait pas encore le christianisme.

[ Pour le quatrième évangile qui s'insère entre celui de Luc et ses Actes et que le Canon attribue à Jean, c'est incontestable. Mais nous l'attribuons au Théologien qui rédige la première épître du corpus johannique.
   

Ordre canonique

Évangélistes

Prédicateurs

Prédications

Identifications

1

Matthieu

Jésus

aux Israélites

Samaritains

2

Marc

Pierre

aux Juifs

Judéo-chrétiens*

3

Luc

Paul

aux Grecs

Païens

4

Jean

le Théologien

Universelle

Actes

Luc

Pierre et Paul

aux Juifs et aux Grecs

   
* Les Pauvres et les Saints auxquels s'adressent les épîtres de Jacques et de Jude.

Il faut dès lors distinguer les Ébionites judéo-chrétiens et les Nazaréens dont l'évangile de référence était celui de Matthieu.

Carrère qui n'évoque que l’évangile de Jean dans le préambule qui caractérise la première partie de son ouvrage ne s’intéresse ici qu'aux épîtres de Paul en étendant leur antériorité chez Luc aux deux premiers évangiles du canon néotestamentaire.

C'est une interprétation littéraire du marcionisme qui s'inscrit dans ses commentaires sur l'évangile selon Philip K. Dick (1928-1982) dont Carrère reste (après 1993) le biographe exemplaire.

Quant au christianisme des chrétiens d'Asie que Carrère cherche à faire surgir du néant, ils se reconnaissaient comme tels depuis Antioche où ils professaient leur foi dix ans plus tôt sous l'égide de Pierre. ]

« [ Les épîtres de Paul ] sont aussi les textes les plus modernes de toute la Bible, j'entends par là les seuls dont l'auteur soit clairement identifié et parle en son nom propre.

[ Ce qui contredit l'assertion précédente en jetant le discrédit sur tout le reste du Testament. ]

« ... au moins deux tiers des lettres de Paul – selon les critiques les plus sévères – sont bel et bien de lui. » [ ... ]

[ L'épître aux Hébreux ne serait pas de lui et s'adresserait aux bénéficiaires des prédications précédentes.

Les critiques écartent la deuxième épître aux Thessaloniciens qui ajourne la résurrection et le retour du Seigneur mais rien n'atteste que Paul ne se soit pas confronté lui-même à cette contradiction. ]

« Les Évangiles n'existaient pas encore : les premiers chrétiens n'avaient pas de livre sacré, mais les lettres de Paul leur en ont tenu lieu. » [ ... ]

[ Ce qui fut peut-être le cas en Asie mineure où celui de Luc s'invente. ]

« ... deux Juifs [ Paul et Timothée ] disent « les Juifs », comme s'ils ne l'étaient pas eux-mêmes, « leurs prophètes », comme si ce n'étaient pas les leurs aussi. »

[ Donc, ils ne l'étaient pas. ]

Cf. Emmanuel Carrère (2014) – Le Royaume – Paul (Grèce, 50-58)