mardi 28 février 2023

La théophanie des prototypes

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« Ici [ dans le quatorzième chapitre des « Futûhât » ] se situe le récit de la vision de Cordoue – [ celles des prophètes ] – et la révélation du nom emblématique de vingt-cinq des Pôles qui régirent les communautés antérieures à l'Islam. »

Bien que l'article indéfini induit une multiplicité indéterminée, le nombre de ces pôles (25) correspond bien à celui des sagesses des « Fusûs al-Hikam » antérieures à celles dont il faut rendre compte ensemble à la fin (2) – celles de Khalid et de Muḥammad.

Antérieures à ces dernières mais comprenant leur origine avec celle d'Adam (1) qu'il faut tenir à part dans l'économie du « manvantara » – la grande année cosmique – où elle représente dans la matrice arithmétique du récit biblique son « manou ».

« L'un d'eux est désigné par ibn Arabî comme « Mudâwi'l-kulûm » – « Celui qui guérit les blessures ». Il est décrit plus complètement au chapitre suivant.

« Les sciences qui lui sont attribuées [ l'alchimie, la médecine, l'astrologie et la cosmologie ] montrent qu'il s'agit ici d'Hermès ou plutôt du premier des trois Hermès que distingue la tradition islamique, celui qui est identifié à Idrîs – Hénoch. »

Ce qui démontre que ces pôles sont au moins dans son cas identifiables aux détenteurs de ces sagesses et qu'Hermès est à la fois Trois fois grands – « Trismégiste » – et triple dans la triade qui déploie sa grandeur à travers les cohortes du temps.

Chodkiewicz donne « les deux autres Hermès » pour « Hirmîs al-Bâbilî » – de Babylone – et « Hirmîs al-Mirsî » – l’Égyptien – faisant probablement d'Hénoch le premier d'entre eux que nous identifions à « Thot » en lui associant Hermès et Mercure.

Nous justifions notre point de vue par un passage de la mythologie gréco-romaine à la prophétologie orientale là où Chodkiewicz ne fait que rendre compte d'une présence de la tradition hermétique en Égypte et en Mésopotamie.

Et surtout, nous faisons de ces avatars une loi du genre qui persiste à travers ses triades (5) pendant tout le « kali-yuga » ; rendant compte par là-même de la théorie des trois sceaux qui illustre celle du « Sceau des saints » dans le champ akbarien.

« Il n'y a – au-dessus [ des serviteurs de Dieu ] – que le degré de la Prophétie. Leur station – [ celle des serviteurs ] –  est celle que l'on désigne par [ celle ] de la Proximité – [ le ] « maqâm al-Qurba ».

« Leur verset spécifique dans le [ Noble ] Coran est « des houris recluses dans les tentes » – cf. S 55 V 72 – [ qui vivent « enfermés dans la tente des actes ordinaires et des dévotions usuelles ». ]

Dans cette citation, Chodkiewicz ajoute à la prophétie « [ légiférante ] » rendant compte de la théorie qu'il prête par ailleurs à l’Émir abd al-Qâdir pour faire de certains saints des prophètes non légiférant.

Cette théorie est selon nous la conséquence d'une incompréhension générale dans la constitution des triades, en particulier dans celles qui constituent les cohortes de la « walâya » :

- la triade « akbarienne » [ 'Isâ / Muḥammad / Muḥyi'd-Dîn ] où Muḥyi'd-Dîn [ ibn Arabî ] est le Sceau général de la sainteté absolue d'Isâ ibn Maryam

- et la triade « aḥmadienne » [ Muḥammad / Muḥyi'd-Dîn / Aḥmad ] où Aḥmad [ at-Tijânî ] est le Sceau spécifique de la sainteté muḥammadienne.

« ... chacun des cent vingt-quatre mille prophètes qui se sont succédé au cour de l'histoire constitue le prototype d'un mode particulier de réalisation spirituelle » doit pouvoir se lire « 1 + 24 + 1.000 » ; toujours dans l'antériorité des « 2 » de l'Islam qui font « 27 ».

Ce dont Chodkiewicz rend compte à sa façon : « Pour user d'un symbolisme numérique auquel ibn Arabî recourt souvent, le nombre « 1.000 » tire toute sa réalité du « 1 » sans laquelle il n'est rien. » [ ... ]

« La notion de théophanie se révèle ici capitale : les trois zéros de « 1.000 » [ ... ] sont par eux-même inexistants. Mais précédés du « 1 », ils expriment la série des épiphanies par lesquelles ce « 1 » principiel [ sic ] se manifeste à lui-même et dont chacune est unique, ...

« ... fulguration instantanée d'un Nom qui n'est pas Dieu [ mais ] qui n'est pas autre que Dieu » [ et où Adam apparaît dans la triple théophanie des trois épiphanies comme le vicaire de cette unité « principielle ». ]

Cf. Une introduction à la lecture des « Futûhât Makkiyya » – Michel Chodkiewicz (1988)

Disons plus sobrement que « 1.000 » est ici la théophanie des vingt-quatre prototypes qui sont comme les vingt-quatre heures du jour de la grande année cosmique dans la matrice arithmétique où le premier devant eux constitue leur modèle anthropologique.

Rappelons ici que la grande année cosmique de 25.920 ans est scellée dans une matrice arithmétique de 64.800 unités dont elle représente les « 4/10 » de son grand « yuga » et que les jours de la création biblique représentent comme un nombre de lunaisons.

Les 64.800 lunaisons correspondent alors à un cycle de 5.400 ans où elles sont réparties par sa décade en six cycles de six mille lunaisons (36.000) et quatre cohortes de six cents ans (2.400 x 12).

Les six cycles de 6.000 lunaisons correspondent aux six jours de la création. Les quatre cohortes de 600 ans correspondent aux saisons d'un petit « yuga » de 2.592 ans – « 1/10 » de la grande année dans le grand « yuga » d'un « kalpa » de 64.800 unités.

Et bien que les temps apocalyptiques néotestamentaires ne soient que des cycles de 360 ans repris au XVIIe siècle pour planifier ceux qui accompagnent leur fin, cette finalité n'est que le solde (192) de ces cohortes qui achèvent celle de la grande années.

La triple théophanie des cent vingt-quatre mille prophètes n'y est pas sans rapport avec les onze sceaux qui s'enchevêtrent au gré des cohortes dans les cinq triades du « kali-yuga ».

   

    

lundi 27 février 2023

La famille d'Abraham

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« C'est des djinns « nâriyya » [ de nature ignée ] dont il est question ici [ dans le neuvième chapitre des « Futûhât » et par opposition aux anges « nûriyya » de nature lumineuse. ]

« Leur existence est attestée par le [ Noble ] Coran et le « hadîth » [ la tradition prophétique. ]

« Ibn Arabî, même s'il déclare ailleurs [ dans le troisième chapitre des « Futûhât » ] que leur nom désigne ce qui est intérieur en l'homme – « 'ibâra'n-bâtin al-insân » – ...

« ... ce qui est une conséquence nécessaire [ à ] l'analogie [ entre le ] microcosme [ de la Réalité muammadienne ] et du macrocosme – ne met pas en doute leur réalité objective : ...

« ... ils appartiennent à la frange subtile du monde humain comme les animaux appartiennent à sa frange [ la plus ] grossière.

« Mais tandis que l'homme – créé de terre et d'eau – est stable et essentiellement humble, les djinns – créé d'air et de feu soixante mille ans avant lui – n'ont pas de forme stable : ils prennent celle qu'ils désirent.

« Toutefois, lorsqu'ils se manifestent à nous, ils sont prisonniers de la forme sous laquelle ils apparaissent aussi longtemps que notre regard est fixé sur elle.

« Lorsqu'ils sont tués dans l'une de ces formes, ils meurent et leur sort posthume est analogue à celui de l'homme.

« Le feu qui prédomine dans leur constitution et qui est « le plus élevé des éléments » les porte à l'orgueil ; ...

« ... et c'est cet orgueil – jusque là sans objet – qui lors de la création de l'homme les porte à la rébellion et fait de certains d'entre eux des démons – « shayâtîn ».

[ « ... une partie de la mosquée du Prophète à Médine – la « rawda » – est décrite par un « hadîth » comme « un des jardins du paradis. »

C'est l'une des deux demeures qui sont préservées de l'emprise du « dajjal » et qu'on situe ici « entre la tombe du Prophète et sa chaire » – le « minbar ». ]

Cf. Une introduction à la lecture des « Futûhât Makkiyya » – Michel Chodkiewicz (1988)

    

     

vendredi 24 février 2023

La science des lettres arabes

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« On peut [ ... ] se demander – comme l'a fait R. W. J. Austin [ en 1980 ] – si ibn Arabî, vivant dans un pays où juifs et musulmans se côtoyaient a eu directement accès à cet enseignement au cours de la période andalouse de son existence.

[ Il est question de la kabbale hébraïque dans le « Sepher Yetsira » et le « Zohar » que Chodkiewicz met en rapport avec la science des lettres arabes – « 'ilm al-hurûf » – du Sheykh al-Akbar dans les « Futûhât ». ]

« Un dialogue [ qu'Austin ] rapporte entre un docteur [ ... ] « isrâ'iliyyîn » et lui-même montre qu'il savait que la Thora commence par la lettre « beth » comme le Coran par [ la lettre ] « bâ » qui en est l'équivalent dans l'alphabet arabe ; ...

« ... mais les besoins de la polémique avec les « ahl al-Kitab » [ les gens du Livre ] [ ceux du Noble Coran ] avaient depuis longtemps conduit des auteurs musulmans à s'intéresser à des livres [ que Chodkiewicz qualifie de ] sacrés, ...

« ... et rien dans les écrits du Sheykh al-Akbar ne permet de croire que ses connaissances de la tradition hébraïque aient été plus précises que celles d'un homme cultivé de son époque.

[ Bien que le mosaïsme hébraïque ait pu d'abord lui apparaître comme une voie médiane entre la voie christique et l'islam comme en témoigne l'intercession de Hûd – le prophète des 'Âd – qui l'introduit dans la vision inaugurale de l'assemblée des prophètes.

Dans son « Rayon vert », Jules Verne fait usage en 1882 d'un curieux procédé littéraire – « Bet ! Beth ! Bess ! Betsey ! Betty ! » – pour nous indiquer le caractère sacré qu'il attribue à son héroïne telle qu'elle semble en rapport avec l'origine hébraïque des Hébrides.

Hébraïsme qu'on peut difficilement mettre en relation avec son origine israélite en général ou juive en particulier si ce n'est quand il est question de « Juifs rouges » en référence au Phénix, au Soufre ou au Soleil couchant, au Maghreb ou à l'Occident. ]

« Au delà de disputes qui seraient assez vaines et qu'aucune preuve décisive n'autoriserait à conclure sur la filiation historique de tel ou tel point de doctrine et [ sur ] le jeu complexe des influences réciproques, ...

« ... il reste à constater la coïncidence – dans l'espace et dans le temps – de manifestations majeures de l'ésotérisme islamique et de [ ce que Chodkiewicz qualifie d'ésotérisme juif en lui prêtant un caractère initiatique ] ...

« ... et à méditer [ la ] signification [ de cette coïncidence ] dans l'économie spirituelle de ce « dernier tiers de la nuit » qui précède l'aube du jour éternel. »

Chodkiewicz fait ici référence à une citation des « Futûhât » :

« Nous sommes à présent au troisième tiers de cette nuit du sommeil de l'univers. Or la théophanie qui donne les grâces, les sciences et les connaissances parfaites sous leurs formes les plus accomplies est celle du dernier tiers de la nuit. »

Cf. Une introduction à la lecture des « Futûhât Makkiyya » – Michel Chodkiewicz (1988)

Quelque soit le sens donné à cette citation, elle décrit précisément la succession des cohortes du kali-yuga depuis la venue du premier témoin de l'apocalypse johannique jusqu'au renouvellement du « manvantara » que Chodkiewicz identifie au jour éternel.

La théophanie du dernier tiers de la nuit est alors celle qui implique le « tasawwuf » akbarien et les formes simultanées de la sainteté franciscaine et de la tradition orientale que le daishônin Nichiren qualifie avec la même insistance de « mahâyâna » définitif.

Quant à la science des lettres arabes dont il est question ici dès le premier chapitre des « Futûhât », c'est une science éminemment christique – « 'isawî » – que Chodkiewicz met judicieusement en rapport avec « la fonction eschatologique de Jésus ».

Ibn Arabî qu'il s'évertue à qualifier ici aussi de « Sceau de la sainteté muḥammadienne » dont la fonction rentre indubitablement dans son caractère général apparaît néanmoins dans la « communauté de statut » qu'il partage également avec le Christ.

Et par ailleurs, les vingt-huit lettres de l'alphabet arabe sont misent en rapport avec les vingt-huit degrés de la cosmologie akbarienne ; indiquant par là-même qu'ils expriment les mansions des lunaisons sidérales qui caractérisent la tradition primordiale.

Dans cette représentation du monde, le Pôle et ses deux imams sont représentés par la lettre « Alif » (1) avec le « Wâw » (6) à gauche et le « Yâ » (10) à droite dont nous mettons les nombres en rapport avec sa cosmologie et sa métaphysique.

Les quatre piliers qui soutiennent leurs fonctions hiérarchiques sont ici représentés par les lettres « Nûn » (50), « Tâ » (400), « Kâf » (20) et « Ḥâ » (8) – sauf erreur de notre part dans leur identification en l'absence de signe diacritique.

Deux lettres entrent dans l'injonction du fiat arabe – « KûN » – autour de la lettre « Wâw » (6) et probablement le « Ḥâ » (8) dans le nom du Vivant – « Ḥayy » – avec la lettre « Yâ » (10) ; le « Tâ » (400) étant sans doute celui du « Tawḥid ».

À ces lettres et à ces fonctions correspondent les sept noms matriciels – « ummahât al-'asmâ » qui caractérisent l'essence d'Allâh : « al-Ḥayy », « al-'Alîm », « al-Murîd », « al-Qâdir », « al-Qâ'il », « al-Jawwâd » et « al-Muqsiṭ ».

L'ordre dans lequel ils nous sont donnés nous laisse supposer dès lors une fois encore que le Vivant – « al-ayy » – est leur Pôle parmi leurs substituts.

   

    

jeudi 23 février 2023

À la porte de ton Seigneur

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« Ibn Arabî [ ... ] distingue [ dans le préambule de l'introduction qui prolonge le prologue des « Futûhât » ] trois degrés [ en deçà de la connaissance surnaturelle qui illumine ...

... celui qui « s'adonne exclusivement à la retraite et à l'invocation [ en se vidant ] de toute pensée et [ qui ] s'assied – pauvre [ et ] dépourvu de tout – à la porte de son Seigneur » ] :

- « le « 'ilm al-'aql » – la science des états qui ne peut être obtenue que par l'expérience personnelle intime – « dhawq » ...

- « et le « 'ilm al-asrâr » – la science des secrets qui procède de l'insufflation de l'Esprit saint et appartient aux prophètes et aux saints.

« Une sévère mise en garde s'adresse à ceux qui rejettent ce qu'apporte le « sâhib al-asrâr » – le dépositaire des secrets divins – ...

« ... comme à ceux qui le confondent avec le philosophe parce qu'il y a éventuellement coïncidence entre ce qu'énonce celui-ci et ce qu'énonce celui-là : ...

« ... le mode d'accès à la science et le degré de certitude de l'un et de l'autre sont bien différents.

« Quant à la théologie – « kalâm » – celui qui s'est préparé à recevoir les théophanies n'en a que faire et récuse ses prétentions à valider ou invalider ses croyances.

« La preuve en est que le commun des fidèles – « al-'âmma » – dont la foi est saine, ignore le « kalâm » et puise directement sa croyance dans le sens obvie de la révélation – « min zâhir al-kitâb al-'azîz ».

« Les extrêmes se rejoignent donc et le gnostique authentique – « al-'ârif bi-Llâh » – est plus proche du simple fidèle que du théologien – « al-mutakallim. »

[ La mise en garde est toutefois réversible : si le philosophe ou le théologien se connaît lui-même et donc maîtrise la science des états qui se trouvent en-deçà d'une simple approche spéculative, il est à même de prendre en compte l'apport du saint.

Chodkiewicz signale le cas du divin Platon – « aflâtûn al-ilâhî » – qui aux yeux d'ibn Arabî ne fait pas seulement partie « des hommes de la pensée spéculative » mais parle aussi « à partir d'une expérience intime. »

On se souviendra par ailleurs du prince des théologiens – Saint-Thomas d'Aquin – qui après une commotion refusa vers la fin de sa vie de s'exprimer plus longuement sous l'effet d'une expérience ineffable qui s'était ouverte inopinément devant lui.

Chodkiewicz conclut néanmoins que si la science du « véritable philosophe » est limitée « en élévation comme en étendue » et donc « très inférieure » à celle du « walî », elle n'est pas non plus – pour le Sheykh al-Akbar – « une pure illusion ».

De même, ibn Arabî voit une utilité à minima au théologien dans son combat contre l'hérésie. ]

« La première [ profession de foi qui accompagne ce préambule ] est précisément celle à laquelle tout musulman doit adhérer et n'est d'ailleurs qu'une expression des articles fondamentaux du credo traditionnel.

« La deuxième [ profession de foi est ] celle des théologiens [ qu'ibn Arabî interprète en l'empruntant à l'imam al-Ghazâlî. ]

« La troisième [ profession de foi qui est ] celle de l'élite – « ahl al-ikhtisâs » – constitue une formulation mitigée entre spéculation et dévoilement spirituel – « bayna'l-nazar wa'l-kashf » – qui annonce déjà [ ... ] la métaphysique akbarienne ...

« ... mais s'inscrit [ toujours ] dans le cadre [ d'une ] problématique du « kalâm ». [ ... ]

[ Ces professions de foi – « 'aqâ'id » – s'adressent par conséquent au commun des fidèles et à ceux qui maîtrisent la science des états pour lesquels elles ont été ajoutées à la première profession dans la seconde rédaction des « Futûhât ». ]

« [ Quant à ] la profession de foi de l'élite de l'élite – « 'aqîda khulâsat al-khâssa » – [ qui correspond à la science des secrets, elle ] n'est pas à chercher [ dans l'introduction ] ni en aucun endroit particulier de l'ouvrage : elle est disséminée dans les chapitres [ du ] livre. »

Cf. Une introduction à la lecture des « Futûhât Makkiyya » – Michel Chodkiewicz (1988)

« Voici, je me tiens à la porte et je frappe. »

Apocalypse III 20
   

    

mardi 21 février 2023

La tasliya de la khutba

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« La « khutba » [ des « Futûhât » ] stricto sensu est suivie du poème qui dédie l'ouvrage au seykh abd al-Azîz Mahdawî et constitue avec elle l'ensemble du prologue.

« On relèvera dans ces vers – comme dans le passage en prose qui se trouve immédiatement après – la mention de personnages [ ... ] que l'on rencontre en d'autres œuvres d'ibn Arabî – dans le « Rûh al-Quds » ...

« ... et surtout celle de Badr al-Habashi qui fut pendant vingt-trois ans le compagnon du Sheykh al-Akbar.

« Plusieurs indications dans le poème évoquent le statut initiatique exceptionnel de ces hommes mais aussi [ ... ] celui d'ibn Arabî lui-même qui affirme là sans équivoque qu'il n'aura pas de successeur : ...

« ... précision à retenir car elle confirme celle qu'on trouve en divers endroits du corpus akbarien et d'où l'on peut conclure que la fonction de Sceau [ « Khatm » ] de la sainteté muḥammadienne n'est pas transmissible.

« Cela, nul n'est obligé de l'admettre. Du moins conviendrait-il de ne pas attribuer à ibn Arabî sur ce point une autre position que la sienne. »

Cf. Une introduction à la lecture des « Futûhât Makkiyya » – Michel Chodkiewicz (1988)

La charge de Chodkiewicz fait mention de « la thèse de la transmissibilité de la fonction » soutenue d'après son ouvrage sur le Sceau des saints « à plusieurs reprises » par Muammad Wafâ, Qushâshî et Amad Tijânî « ... »

Mais comme il est ensuite question des « turuq » qui la soutiennent « toujours aujourd'hui » en 1988, il est claire que la « tarîqa » tijâne est ici la seule concernée par une réfutation qu'il étend sous cet artifice à des cas imaginaires et anecdotiques.

Pour Aḥmad Tijânî – qu'Allâh préserve son précieux secret – Chodkiewicz produit sa propre réfutation en citant la « Bughyat al-Mustafîd » de Muḥammad al-Arabî al-Umarî a-Tijânî où il est dit ...

« ... que le sheykh Aḥmad Tijânî [ a ] reçu l'annonce de son élection à cette fonction du Prophète lui-même au cours d'une vision à l'état de veille » ... d'où il théorise – à partir d'une source qu'il n'a pas pu consulter – l'idée ...

« ... que la « khatmiyya » est un degré théoriquement accessible à tout être et non une fonction unique dans l'histoire » théorisée par le docteur abû'l-Wafâ Taftâzânî en 1969.

Théorie qui peut rester théorique dès lors que la fonction ne fut pas transmise à Aḥmad Tijânî par le Sheykh al-Akbar mais directement et seulement par le Sceau des prophètes.

Ce qui n'est pas tout à fait le cas du Sheykh al-Akbar contrairement à ce que suppose Chodkiewicz quand il affirme que l'Imam ne se considère « que comme le substitut – « nâ'ib » – de la Réalité muḥammadienne qui est invisiblement le seul véritable Sceau. »

Affirmation deux fois restrictive que le Sceau des prophètes réfute lui-même dans la « tasliya » de la « khutba » des « Futûhât » en justifiant la louange « de Celui qui m'a envoyé et la mienne » – celle du Messager d'Allâh ...

« Car en toi [ chez le Sheykh al-Akbar ] il y a une parcelle [ un cheveu ] de moi [ du Prophète ] qui ne peut plus plus supporter d'être loin de moi [ du Prophète ] et qui gouverne ta réalité intime » [ celle du Sheykh al-Akbar ].

Une parcelle seulement – ou un cheveux – puisque le Sceau général de la sainteté est à la fois le « nâ'ib » de la Réalité muḥammadienne et celui de la sainteté la plus absolue dont le Christ est sa propre Réalité.

L'imam du Taḥwid n'eût pas à transmettre la fonction du Qutb al-Maktum ; pas plus que le Christ n'a transmis sa Réalité au Sceau des prophètes. Et le Messager d'Allâh n'aura pas à transmettre Celle que le Christ recevra de Dieu pour sa parousie.

   

    

samedi 18 février 2023

Le taḥmid de la khutba

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« ... assez rare, les commentaires [ des « Futûhât » ] sont en outre extrêmement fragmentaires.

« La plupart d'entre eux ne portent que sur quelques lignes, voir quelques mots – les huit premiers du texte en particulier – parfois sur un vers – tel celui qui figure au début du prologue. » [ ... ]

« Tout auteur musulman commence traditionnellement ses écrits par une doxologie – « khutba » – en deux parties : louange à Dieu – « tamid » – et prière sur le Prophète – « tasliya ».

« Cette figure obligée peut se limiter à de courtes phrases ou se déployer dans une scintillante pyrotechnie de prose rimée souvent plus sonore que riche de contenu.

« Tel n'est pas le cas chez le Sheykh al-Akbar dont les doxologies sont déjà en elles-mêmes des énoncés doctrinaux qui méritent une longue méditation.

« Celle des « Futûhât » en est un exemple significatif et présente de plus la singularité d'évoquer de façon précise [ dans la seconde partie ] un événement considérable de la vie de son auteur.

« Ce n'est pas un hasard si – comme nous l'avons signalé – les huit premiers mots [ ... ] ont suscité une bonne par des commentaires [ dont ceux de l’Émir abd al-Qâdir. ]

« La limpidité de leur surface est trompeuse. »

[ Les deux parties de la « khutba » ont évidemment un rapport avec les deux attestations de la « shahâda » : unicité d'Allâh – « tawid » – et mission du prophète Muammad.

Mais ce rapport est aussi valable avec les témoignages du Sceau général et du Sceau spécifique de la sainteté muammadienne qui précèdent le Sceau de la sainteté absolue quand il se manifeste pour sa parousie en-deçà de l'unicité d'Allâh. ]

« Al-amdu li-Llâh al-ladhî awjada' l-ashiyâ' 'an 'adam wa 'addamahu »

« Pour quiconque est familier avec l'enseignement akbarien la formule « al-amdu li-Llâh » – littéralement : « la louange appartient à Dieu » – ne signifie pas seulement que la louange revient de droit à Dieu mais qu'elle ne procède en fait que de Lui, ...

« ... qu'Il est à la fois le Louangeur – « al-âmid » – et le Louangé – « al-Mamûd » : « nul ne loue Dieu si ce n'est [ ... ] Lui-même » – « lâ âmida li-Llâh illâ Huwa » – déclare ibn Arabî dans son commentaire de la « Fâtia » au [ cinquième ] chapitre des « Futûhât ».

« Dans le chapitre 350 où il traite des [ voiles ] – c'est-à-dire [ des ] créatures elles-mêmes en tant qu'elles occultes l'omniprésence divine – il décrit d'ailleurs la demeure spirituelle – « manzil » – dans laquelle on reçoit la connaissance de cette louange de Dieu par Dieu.

« À propos de ces deux premiers mots de la « khutba », l’Émir abd al-Qâdir – s'inspirant du [ cinquième ] chapitre – distingue trois catégories d'êtres : ...

« - les croyants ordinaires qui louent Dieu « par eux même » – « bi-anfusihim »,

« - l'élite qui loue Dieu « par Dieu » – « bi-Llâh »

« - et l'élite de l'élite dont la louange « appartient à Dieu » – « li-Llâh » car les hommes de cette catégorie savent que c'est Dieu qui par leur bouche s'adresse à Lui-même.

« Les hommes du « lâm » – lettre initiale de la particule « li » – sont donc supérieurs aux hommes du « bâ » – lettre initiale de la particule « bi » – car le « bi » implique la subsistance du louangeur alors que le « li » implique son extinction.

« Al-ladhî awjada'l-ashiyâ' » peut se traduire par « qui a existencié [ sic ] les choses ». Mais « shay' » – singulier de « ashiyâ' » – désigne indifféremment dans la terminologie akbarienne ce qui est existant – « mawjûd » – ou inexistant – « ma'dûm ».

« Qu'en est-il ici ? Les références scripturaires – sous-jacente à tout exposé doctrinal chez le Sheykh al-Akbar – sont apparemment contradictoires.

« D'un côté, le [ huitième ] verset [ de la dix-neuvième sourate ] : « Nous t'avons créé alors que tu n'était rien » – « lam taku shay'an » – littéralement [ ...] « une chose » ; ...

« ... de l'autre, huit versets [ ... ] déclarent que lorsque Dieu veut qu'une chose soit « Il lui dit : « Sois ! » [ « Kûn » ] et elle est » – cf. S 2 V 114 / S 3 V 47 et 59 / S 6 V 73 / S 16 V 40 / S 19 V 35 / S 36 V 82 / S 40 V68

« Or ibn Arabî, lorsqu'il commente ces derniers versets ne manque pas de souligner qu'ils impliquent que cette « chose » n'était pas pur néant puisque la parole divine s'adresse à elle et qu'elle entend.

« Le premier verset que nous avons cité [ S 19 V 8 ] en revanche suppose l'existenciation de quelque chose qui n'existait sous aucun rapport ; et c'est ce point de vue qui semble l'emporter dans la phrase initiale de la « khutba », ...

« ... interprétation que renforcent les mots suivants : « 'an 'adam wa 'addamahu », l'ensemble se traduisant alors : « La louange appartient à Dieu qui a existencié les choses d'un néant et a anéanti le néant », ...

« ... formulation de la création « ex nihilo » à laquelle les représentants de l'exotérisme islamique ne peuvent trouver à redire. » [ ... ]

[ Le passage du néant à « l'existenciation » est celui de la « wâidiyya » ou de la « wadâniyya » – de l'unicité divine – à la « 'aadiyya » que Chodkiewicz décrit ici comme « la pure unité de l'Essence absolument indéterminée ».

Ce que nous décrivons avec « as-Samad » pour la sourate de « l'Ikhlâṣ » – S 112 V 2 – comme la Substance consubstantielle sur laquelle se fonde toute subsistance.

L'unité de la « 'aadiyya » ne peut être répertoriée parmi les Noms divins dont elle n'est que l'attribut qui caractérise « a-amad » – la Substance consubstantielle ou l'Essence indéterminée – en-deçà de l'unicité de l'Unique – « al-Wâid ».

C'est dans cet en-deçà que le Sceau de la sainteté la plus absolue doit finalement se manifester avec la parousie du Christ. ]

Cf. Une introduction à la lecture des « Futûhât Makkiyya » – Michel Chodkiewicz (1988)

Je connais un secret plus profond que ton cœur
– une âme sœur –
entre un océan qui déferle et la lagune d'où elle reflue.

Qui peut transmettre l'essence de l'être en soi ?

Ce matin
– devant l'ermitage –
la neige a effacé la trace de mes pas.

   

    

jeudi 16 février 2023

Une brève histoire de l'église moderne

...

Réformisme I

Pie XII

Consistoire I

1946

Élection française

Clément XV

Consécration

1950

Réformisme II

Pie XII

Consistoire II

1953

Réformisme III

Jean XXIII

Conclave I

1958

Réformisme IV

Paul VI

Conclave II

1963

Élection québécoise *

Grégoire XVII

Intronisation 1

1968

Contre-réformisme

Georges de Nantes

Ligue catholique

1970

Sédévacantisme

[ Paul VI ]

Excommunications

1972

Sirianisme

Grégoire XVII

Conclave I

[ 1958 ]

Survivantisme

Paul VI

Substitution

1975

Vagances épiscopales

Mgr Ngo Dinh Thuc

Consécrations

1976

Réformisme V

Jean-Paul I

Conclave III

1978

Réformisme VI

Jean-Paul II

Conclave IV

1978

Conclavisme palmarien I

Grégoire XVII

Conclave 1

1978

Sédéprivationnisme

Mgr Guérard des Lauriers

Consécration

1981

Traditionalisme

Mgr Lefebvre

Excommunications

1988

Conclavisme palmarien II

Pierre II

Conclave 2

2005

Réformisme VII

Benoît XVI

Conclave V

2005

Élection québécoise *

Léon XIV

Intronisation 2

2005

Néo-traditionalisme

Jean XXIII

[ 1962 ]

2009

Conclavisme palmarien III

Grégoire XVIII

Conclave 3

2011

Conclavisme réformiste

Petrus Romanus

Renonciation

2013

Conclavisme palmarien IV

Pierre III

Conclave 4

2016

Néo-réformisme

François

Abrogation

2021

   
* Élections dans l’œuvre apostolique de l'Amour Infini et pour l’Église Catholique de la Nouvelle France

Le conclave de 1958 est le conclave de référence pour l'élection théorique du cardinal Siri pressenti sous le nom de Grégoire XVII comme le successeur naturel de Pie XII et théorisé avec la remise en cause du pontificat de Paul VI dans l'application du concile.

À ce titre, le sirianisme est de même nature que le survivantisme qui postule la survie naturelle ou surnaturelle de Paul VI à partir d'une théorie de la substitution où l'imposteur assume à partir de 1975 ce qu'on lui reproche dès 1971.

Le conclavisme originel qui est encore et déjà un conclavisme réformiste assume alors une rupture d'une nature radicalement différente par rapport à celle qui lui succédera à Palmar de Troya après le décès du pape Paul VI.

Le conclavisme traditionnel suppose la vacance du siège pontifical théorisée par le sédévacantisme à partir du pontificat de Paul VI et le conclave réformiste de 2013 réalise finalement sa propre vacance à partir de la renonciation du pape Benoît XVI.

La renonciation du siège pontifical qui théorise sa vacance réitère en quelque sorte celle de la tiare pontifical par le pape Luciani – Jean-Paul I – qui théorisait déjà la possibilité d'un conclave traditionnel dans la théorie du sédévacantisme.

Le sédéprivationnisme de Mgr Guérard des Lauriers où le siège pontifical occupé par Jean-Paul II serait privé d'une légitimité juridique symbolisée par le port de la tiare pontificale est une étape hybride dans une crise de succession.

À ce titre, la succession entre le pape Pie XII et le cardinal Siri nous paraît aussi naturelle que celle du pape Jean-Paul II par rapport au pape Paul VI et que celle du pape Benoît XVI par rapport au pape Jean-Paul II.

Les points de ruptures qui sont ceux du réformisme théorisés par le sédévacantisme, le conclavisme traditionnel et le traditionalisme apparaissent avec les élections pontificales de Jean XXIII, de Jean-Paul I et de l’antipape François.

On peut finalement qualifier François d'antipape dans la mesure où il sape ce que ses trois prédécesseurs – Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI – ont édifié sur les brèches du réformisme apparues dès la rupture originelle du conclave de 1958.

Sa rupture néo-réformiste que nous croyons irrémédiable rompt de surcroît avec le néo-traditionalisme de son prédécesseur qui prenait dès 2007 le missel de 1962 pour référence comme préalable aux levées des excommunications de 1988.

Enfin, il faut bien voir que le conclave de 1958 est sorti des consistoires de 1946 et de 1953 dont sont issus Mgr Roncalli – Jean XXIII – et Mgr Siri – Grégoire XVII – dont l'élection reste théorique puisqu'elle semble avoir fait l’objet d'une première renonciation.

   

    

lundi 13 février 2023

Le mécontentement

...

« M. Chodkiewicz qui cite [ le ] passage des Haltes [ où l’Émir déclare qu'ibn 'Arabî est le trésor dans lequel il puise ce qu'il écrit en le tirant « soit de sa forme spirituelle [ ... ] soit de ce qu'il a lui-même écrit dans ses ouvrages » ] souligne par ailleurs que ...

« ... la relation privilégiée d'abd al-Qadîr avec ibn 'Arabî qu'établit rituellement et symbolise l'investiture de la « khirqa akbariyya » dès [ sa ] jeunesse [ ... ] est confirmée par de fréquentes visions rapportées dans les « Mawâqif ».

« Dans l'une d'elles, ibn 'Arabî lui apparaît d'abord sous les traits d'un Lion [ qui rappellent ceux d'Abû Madyan ] et lui ordonne de mettre sa main dans sa gueule ; lorsqu'ayant vaincu sa terreur il accomplit ce geste, ibn 'Arabî reprend figure humaine.

« Dans une autre, le Sheykh al-Akbar manifeste sa satisfaction de la réponse faite par abd al-Qadîr à certaines critiques visant l'auteur des « Futûât ».

« Dans une autre encore, ibn 'Arabî exprime son mécontentement de voir abd al-Qadîr s'adresser à des chrétiens en employant la formule rituelle « as-Salâm 'alaykum » alors que l'émir avait trouvé une justification légale à cette pratique normalement interdite.

« Ailleurs, ibn 'Arabî lui explique certains passages de ses œuvres ou les étudie avec lui, ou l'informe qu'aucun des commentateurs des « Fusûs al-Hikam » n'en a perçu le sens véritable,

« ... lui remet un de ses ouvrages [ et ] lui communique un écrit scellé où – après avoir brisé le sceau – il découvre sa propre image. »

Cf. Introduction de Michel Chodkiewicz aux « Écrits spirituels » citée dans celle d'abdu'Llâh Penot aux « Livre des haltes » de l’Émir abd al-Qâdir (1982 et 2008)

« Si le nom du « Kitâb al-Mawâqif » comporte [ bien évidemment ] une allusion à l'enseignement d'ibn 'Arabî, ...

[ Il y a entre tout « maqâm » ou tout « manzil » et la « station » ou la « demeure » suivante, un « mawqif » où le noble voyageur fait « halte » sur un point médian pour s'y instruire des convenances requises – « adâb » – pour la suite de son voyage. ]

« ... c'est de manière tout à fait explicite que le contenu de l'ouvrage se place sous l'autorité du Sheykh al-Akbar [ telle que déjà citée à propos du trésor où il puise ce qu'il écrit ... ]

« ... le tirant soit de sa forme spirituelle – « min ruâniyyatihî » – soit de ce qu'il a lui-même écrit dans ses ouvrages. »

« En de nombreux passages, il exprime sa certitude qu'ibn 'Arabî est bien le « Sceau de la sainteté muammadienne » – fonction qu'il définit avec précision dans le chapitre 353 des « Mawâqif » – ...

« ... et sa conviction que l'auteur des « Fuus » est à ce titre – après les prophètes – celui dont les conseils sont les plus profitables aux hommes. »

Cf. Op. Cit. Ibidem pour le premier d'entre eux où hélas ni l'un ni l'autre n'ont cru devoir traduire le trois cents cinquante troisième « mawqif » parmi ceux (40 + 50) qu'ils nous donnent à lire.

Quant au mécontentement du Sheykh al-Akbar, il éclaire d'une lueur incertaine l'imbroglio dans lequel elle éclaire cette opposition à une justification légale pour le moins étrange :

Il va de soit que la spécificité du Sceau muammadien ne serait être étrangère à la généralité d'un Sceau qui entretient dans le même domaine un rapport privilégié avec Celui dont la sainteté est la plus absolue.

Il est dès lors tout à fait compréhensible que ce mécontentement s'exprime précisément à l'encontre d'une salutation réservée aux seuls musulmans que l’Émir adresse d'une façon indue aux disciples de Celui qui la représente.

Mais comment le reprocher à ce militant qui dès 1838 s'adressait déjà au Sultan afin d'être relevé de sa charge pour se consacrer à un autre royaume qui lui paraissait encore plus grand que le sultanat d'Occident.

Il existe ici aussi un royaume dont on ne sait rien
entre le Mont Bayard et le Biez de Morsaint
vers le quai Saint-Michel en remontant le Train
et si Dieu vous garde jusqu'au bout du chemin
dans l'éclat de sa cataracte au beau milieu du jardin
aussi aveugle que Lutgarde quand le Cœur du Christ lui vint.

   

    

dimanche 12 février 2023

Le Sultant de l'Occident

...

« Mais un obstacle de taille subsiste devant l’Émir [ pour devenir le sultan du Maghreb après la fuite du bey de Constantine en 1837 ] :

« 'Ayn al-Mahdî, la ville du descendant de Si Amad at-Tijânî dont le grand-père s'était allié au propre père de l’Émir – Muyi'd-Dîn – pour combattre le bey de Constantine.

« Un allié – un sharif – un homme de « zâwiya » qui refuse cependant de reconnaître l'autorité de l’Émir parce qu'il estime que son combat ne le concerne pas : il dit de lui-même qu'il n'est plus de ce monde et le jeune Émir ne l'impressionne nullement.

«Pour tenter de le rallier à sa cause celui-ci va se servir d'un curieux personnage qui fait partie depuis peu de son entourage rapproché : Léon Roches.

« C'est un Français dont le père s'est installé en Algérie pour monter une entreprise agricole dans la Mitidja. Parlant couramment l'arabe, Roches a feint de se convertir afin d'approcher abd al-Qâdir [ pour des raisons que Penot qualifie d'obscures ].

« Toujours est-il qu'il s'acquitte de sa tâche d'émissaire avec brio, ce qui lui vaut un regain de considération auprès de l’Émir même si l'entrevue se solde par un échec, le vieux marabout demeurant intraitable.

« Le siège qui suit durera six mois ; sur les instances de son frère aîné – Si Muammad Sa'îd – l'Emir acceptera finalement de négocier avec le « sheykh » Tijânî.

« La négociation sera menée par son beau-frère – Mustafâ ibn Thamî – qui obtient la capitulation du « sheykh » et le remboursement des frais occasionnés par le siège ; de son côté, at-Tijânî pourra emporter ses richesses.

« Les habitants ont quant à eux un peu moins de deux mois pour vider les lieux. La fière cité dont la forteresse est bâtie sur un piton rocheux sera détruite, tout symbole de résistance devant être gommé.

« À l'Ouest comme au Sud, abd al-Qâdir est le maître. Les français sont cantonnés dans quelques villes comme Oran et Alger.

« L’émir frappe la monnaie, organise une armée régulière, entretient des relations diplomatiques avec différents pays du monde islamique, songe à créer une fabrique d'armement, organise l'administration des territoires dont il est le maître, ...

« ... [ il ] perçoit les impôts et sait parfaitement jouer des tensions qui divisent les acteurs de la diplomatie française. Bref, il se comporte en souverain. » [ Mascara et Tagdempt sont les capitales de son émirat itinérant. ]

Cf. Introduction d'abdu'Llâh Penot aux haltes des « Mawqif » de l’Émir abd al-Qâdir (2008)

Le sultan et le marabout auraient pu incarner « l'autorité spirituelle » et le « pouvoir temporel » – pour reprendre un vocabulaire guénonien – s'ils s'étaient reconnu comme tels ; le doyen d'Ayn Mahdî étant devenu depuis le Calife de la confrérie.

Il va sans dire que l’Émir qui se parât de l'émirat pour ne pas indisposer le Sultan du Maroc ne se bâtait pas pour libérer une Algérie alors inexistante dans les « wilâyât » d'un sultanat ottoman en pleine déliquescence.

Le Sheykh tijânî sans doute plus lucide que le Sultan de l'Occident participera à une politique d’accommodements avec l'occupant sous la tutelle des autorités religieuses de La Mecque et de Kairouan.

   

    

vendredi 10 février 2023

L'identité suprême

...

« Dieu – « al-Ḥaqq » [ la Réalité suprême que la cinquante-septième halte de l’Émir situe au-delà de la Réalité muḥammadienne comme l'ultime étape du connaissant ] – qu'Il soit exalté ! – m'a dit : « Sais-tu qui tu es ? »

« Je répondis : « Oui, je suis le néant manifesté par Ta manifestation ; je suis la ténèbres qu'illumine Ta lumière. »

« Il me dit alors : « Puisque tu [ le ] sais, persévère fermement [ dans ] cette connaissance et garde-toi de revendiquer ce qui ne t'appartient pas car [ ce ] dépôt doit être remis à son propriétaire et l'emprunt restitué.

« Le nom d'être contingent t'appartient depuis toujours et pour toujours. »

[ « ... Jésus dit à Simon Pierre : « Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il lui répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que j’ai de l’amour pour toi. » Jésus lui dit : « Nourris mes agneaux. » ] [ Jean XXI 15 ]

« Il me dit encore : Sais-tu qui tu es ? » Je répondis : « Oui. Je suis réellement Dieu – « al-Ḥaqq ». Mais métaphoriquement et sous le rapport de la Voie, je suis créature – « al-Khalq ».

« Je suis l'être contingent quant à ma forme mais je ne peux pas ne pas être l’Être nécessaire. C'est le nom divin « al-Ḥaqq » qui m'appartient par droit d'origine ; le nom de créature n'est qu'un nom d'emprunt et une formule distinctive. »

« Il me dit : « Voile ce symbole et laisse le mur s'écrouler sur [ ce ] trésor afin que ne puisse l'extraire que celui qui a mis son âme à dure épreuve et regardé sa mort [ ou sa tombe ] en face. » [ cf. S 18 V 77 et 82 où al-Khiḍr doit rebâtir le mur ! ]

[ « Il lui dit une deuxième fois : « Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu ? » Pierre lui répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que j’ai de l’amour pour toi. » Jésus lui dit : « Prends soin de mes brebis. » ] [ Jean XXI 16 ]

« Puis Dieu – qu'Il soit exalté ! – me dit : « Qu'est-ce que tu es ? » Je répondis : « Je suis deux choses selon deux rapports différents. [ « Ma anta ? » au lieu de « Man anta ? » ]

« En tant que Toi, je suis l’Éternel depuis toujours et à jamais, je suis l’Être nécessaire qui s'épiphanise [ sic ]. Ma nécessité procède de l'exigence de Ton essence et mon éternité de l'éternité de Ta science et de Tes attributs.

« En tant que moi, je suis le pur néant qui n'a jamais respiré le parfum de l'existence, l'être adventice qui demeure inexistant dans son adventicité [ sic ]. Je ne possède l'être qu'aussi longtemps que je suis présent avec Toi et pour Toi.

« Rendu à moi-même et absent de Toi, je suis celui qui n'est pas tout en étant – « fa-anâ mafqûd mawjûd ».

[ « Il lui dit, la troisième fois : « Simon, fils de Jonas, as-tu de l’amour pour moi ? » [ Au lieu de « m'aimes-tu ? » ]

« Pierre fut attristé de ce qu'il lui avait dit, la troisième fois : « As-tu de l’amour pour moi ? » et il lui répondit : « Seigneur, tu sais tout, tu sais que j’ai de l’amour pour toi. » Jésus lui dit : « Nourris mes brebis. ] [ Jean XXI 17 ]

« Il me dit ensuite : «  Et Moi, qui suis-Je ? » Je répondis : « Tu es l’Être nécessaire par Soi, seul parfais [ dans ] Son essence et [ dans ] Ses attributs. Mieux : Tu transcendes par la perfection de Ton essence la perfection de Tes attributs. »

« Tu es le Parfait en tout état, le Transcendant à l'égard de tout ce qui peut venir à l'esprit. »

[ « Et d’après vous, qui suis-je ? » leur dit-il. Simon Pierre répondit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » ] [ Mt XVI 15 et 16 ]

« Il me répondit : « Tu ne Me connaît pas ! »

Je Lui dit sans craindre de [ Lui ] manquer [ de ] respect : « Tu es Celui à la ressemblance de Qui sont toutes les créatures contingentes.

« Tu es le Seigneur et le serviteur, la proximité et l'éloignement, Tu es l'Un et le multiple, le Sublime et l'infime, le Riche et l'indigent, l'adorateur et l'Adoré, le contemplant et le Contemplé.

« En Toi se conjoignent les contraires et les opposés. Car tu es l'Apparent et le Caché, le voyageur et le sédentaire, Celui qui sème et Celui qui cultive.

« Tu es Celui qui se joue, qui ruse et qui trompe. [ L'émir veut sans doute dire qu'Il confond les tricheurs. ] Tu es la Réalité suprême et je suis la Réalité suprême. Tu es créature et je suis créature. Tu n'es ni ceci ni cela et je ne suis ni ceci ni cela. »

[ « Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. » Jésus lui dit : « Il y a si longtemps que je suis avec vous et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m'a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : « Montre-nous le Père » ? » ] [ Jean XIV 8 et 9 ]

« Il me dit : « Cela suffit. Tu me connais ! Cache-Moi de ceux qui ne me connaissent pas. Car la Seigneurie a un secret et s'il était révélé, la Seigneurie serait anéantie. [ Sentence de Sahl Tustari reprise dans les « Futûḥât » du Sheykh al-Akbar. ]

« Et la servitude a elle-aussi un secret et s'il était révélé, la servitude serait anéantie.

« Loue-Nous pour ce que Nous t'avons enseigné à Notre sujet car tu ne peux Nous connaître par un autre que Nous. Rien ne conduit à Nous que Nous-même. ! »

[ « Puis [ Jésus ] dit [ à Simon Pierre ] : « Suis-moi. » ] [ Jean XXI 19 ]

Cf. La trentième halte des « Mawqif » de l’Émir abd al-Qadîr consacré à « l'identité suprême » dans les « Écrits spirituels » traduits par Michel Chodkiewicz (1982)

Les réminiscences sont frappantes. Il semble sous cet angle que le modèle de « l'identité suprême » est celui du « Dieu vivant » – « al-Ḥayy ».

On peut en déduire que Son « au-delà » est par rapport à la « Réalité muḥammadienne » un « en-dedans » qui est sans chemin ni demeure mais sans égarement parce qu'il est Lui-même « la Voie, la Vérité et la Vie » – cf. Jean XIV 6.

Le « Tu » de Dieu que Dieu accorde à l’Émir comme étant le Sien n'est alors pas « en-dehors » de « Lui » et ne peut faire l'objet d'aucun châtiment de Sa part même quand le ravissement extatiques l'égare sur ce qu'il croit être un autre chemin.