lundi 31 octobre 2022

Le modèle standard

...

Dans l'annexe qu'il consacre aux évangiles synoptiques, Jean-Christian Petitfils évoque un modèle standard qui date l'évangile de Marc du début des années 70 et ceux de Matthieu et de Luc de la fin des années 80.

La Source « Q » théorisée par l'exégèse judéo-protestante à la fin du XIXe siècle vient enrichir dans cet espace chronologique les évangiles de Matthieu et de Luc sur les versets qu'ils ont en commun (235) et qu'ignore celui de Marc :
   

 Versets 

 Marc 

 Matthieu 

 Luc 

 Marc 

661

600

350

 Matthieu 

600

1068

235 *

 Luc 

350

235 *

1149

 + 

30

233

564

   
* Carrère évoque un recueil de 250 versets dont il attribue le recensement qu'il date de 1907 à Adolf von Harnack.

L'absence de référence explicite aux événements de 70 – le sac de Jérusalem par les troupes romaines et la destruction du Temple d'Adonaï prophétisée par Jésus – rend ce modèle standard plutôt invraisemblable.

Elle rend nécessaire pour se maintenir dans sa logique initiale le recours à de nouvelles médiations plus vraisemblables mais tout aussi théoriques que la Source « Q » et pour la première d'entre-elles quelque peu redondante avec sa théorie.

Le nouveau modèle repose sur une version sémitique – hébraïque ou araméenne – de l'évangile de Matthieu dont dépendent les synoptiques en passant par des versions intermédiaires en langue grecque des évangiles de Matthieu et de Luc.

Ces versions intermédiaires qui correspondent à une dichotomie entre le judéo-christianisme et catholicisme produisent celles que nous connaissons dès les années 60 sur base de références attestées par l'usage chez les premiers Pères de l’Église.

Les sources particulières (+) et la Source « Q » viennent enrichir les textes intermédiaires en laissant l'évangile de Marc presque entièrement dépendant de cette dichotomie dans la traduction du texte sémitique que d'autres éludent en recourant à la tradition orale.

Trois écueils mettent néanmoins à mal ce nouveau modèle : le texte originel qui n'existe pas n'a pas besoin d'exister pour expliquer les sémitismes qui émaille les textes grecs et son existence théorique rend celle de la Source « Q » qu'on réaffecte superflue.

Enfin, il est peu vraisemblable et contraire à l'ordre canonique qu'un évangile lucéen puisse précéder celui de Marc que certains attribuent directement à Pierre en supposant qu'il s'adresse de Rome à des Pagano-chrétiens.

Le colophon de la première épître de Pierre évoque néanmoins leur séjour à Babylone et il n'y a probablement pas d'Hellèno-chrétien à Rome avant l'arrivé de Paul.

Les Judéo-chrétiens auxquelles ils s'adressent ne sont sans doute pas des Juifs convertis au Christ mais des « Craignant Dieu » convertis à une nouvelle forme de judaïsme.

La simultanéité des textes – celle des évangiles de Matthieu et de Luc – relève pour chaque modèle de la théorie synoptique qui se dote d'une origine imaginaire en estompant les stades ultérieurs de leur développement.

Mais le nouveau modèle a l'avantage de se donner pour origine celle de l'ordre canonique qu'il interprète à partir de sa conviction – l'origine hébraïque d'une secte juive – en escamotant le stade intermédiaire que le modèle standard érige à sa place.

Flavius Josèphe en distinguant les Juifs des Hellènes ignorait l'origine nazaréenne. Le Talmud en condamnant les Nazaréens et les Minimes ignore les Hellènes – les Minimes désignant les Judéo-Chrétiens comme des hérétiques.

En les rassemblant, on ne dresse pas un tableau baroque de phalènes évanescent qui s'agitent autour du flambeau de la grande Église catholique. On retrace la route de ceux qui la précèdent et qui demeurent jusqu'à ce qu'elle reviennent.

   

    

vendredi 28 octobre 2022

Testimonium flavianum

...

« À cet époque vécut Jésus, un homme exceptionnel, [ 1 ] car il accomplissait des choses prodigieuses.

« Maître de gens qui étaient tout disposé à faire bon accueil aux doctrines de bon aloi, il se gagna beaucoup de monde parmi les Juifs et jusque parmi les Hellènes. [ 2 ]

« Lorsque, sur dénonciation de nos premiers citoyens, Pilate l'eut condamné à la croix [ entre 26 et 36 ] ceux qui lui avaient donné leur affection au début ne cessèrent de l'aimer ...

« ... parce qu'il leur était apparu le troisième jour, de nouveau vivant, comme les divins prophètes l'avaient déclaré, ainsi que mille autres merveilles à son sujet.

« De nos jours encore ne s'est pas tarie la lignée de ceux qu'à cause de lui on appelle chrétiens. »

Cf. Flavius Josèphe – Antiquités juives (93-94)

1° « si du moins il faut l'appeler un homme, »

2° « C'était le Christ. »

Témoignage de Josèphe comprenant deux interpolations ajoutées ultérieurement à la confession baptismale des Chrétiens de Rome : « Il ressuscita le troisième jour ».

Confession pour le moins étrange s'il n'y a que trois phases de la veille du Sabbat à l'aube du huitième jour qui ne sont jamais le troisième du septième au premier.

À moins que ces jours ne soient interprétés comme ceux que Jonas passe dans l'antre de la baleine qui font six phases : « trois nuits et trois jours ».

Et c'est ici le nombre de la bête pour ceux qui ont de la sagesse : « six cents soixante six » – trois fois six dans l'ordre des ennéades.

Si ce sont des interpolations ultérieures, la divinité et la royauté du Christ ne font pas encore partie du symbole judéo-chrétiens dans la confession baptismale.

Rien ne dit que Jésus soit juif : il a fait des disciples parmi eux et jusqu'aux Hellènes.

Cette limite hellénique délimite la prédication des apôtres : celle de Pierre pour les Judéo-chrétiens ; celle de Paul pour les Païens.

Ce témoignage n'a aucune valeur historiographique pour sa première origine – celle d'une prédication galiléenne aux Samaritains ; fut-il le plus ancien aux yeux des historiens.

Une version du texte en arabe – celle de l'Histoire Universelle d'Agapios de Menbidj – confirme l'absence originelle des deux interpolations du texte en latin :

« À cet époque vivait un sage qui s'appelait Jésus. Sa conduite était juste et on le connaissait pour être vertueux. Et un grand nombre de gens parmi les Juifs et les autres nations devinrent ses disciple.

« Pilate le condamna à être crucifié et à mourir. Mais ceux qui étaient devenus ses disciples continuèrent à être ses disciples.

« Ils disaient qu'il leur était apparu trois jours après sa crucifixion et qu'il était vivant : ainsi il était peut-être le Messie au sujet duquel les prophètes ont raconté des merveilles. »

Cf. Shlomo Pinès cit. Agapios de Menbidj cit. Flavius Josèphe in An arabic version of the Testimonium flavianum and its implications (1971)

Trois jours après la fin du sixième jour, c'est le début du troisième mais ce n'est plus – ou pas encore – le jour dominical.

Nous restons sur les trois stades d'un développement où le dernier degré – celui de la prédication universelle – amalgame celle de Paul et celle du Théologien que la tradition catholique identifie à la révélation du voyant de Patmos.

« Moins prolixe encore que Tacite [ par rapport à Pline le Jeune ] l'historien Suétone (+ 125), chef du bureau des correspondances d'Hadrien, notait dans sa « Vie des Douze César » à propos de l'empereur Claude :

« Comme les Juifs se soulevaient continuellement à l'instigation de Chrestus, il les chassa de Rome. »

« La phrase n'est pas parfaitement claire – on ignore si Suétone ne considérait pas ce Chrestus comme encore vivant à cette époque – ...

« ... mais elle a le mérite de montrer que, dans les années 49-50 – [ à ] l'époque du décret d'expulsion – il y avait déjà nombre de Chrétiens dans la capitale impériale, se distinguant des communautés juives traditionnelles. »

Cf. Jean-Christian Petitfils – Jésus – Les sources extérieures (2011)

Qu'il puisse y avoir des communautés juives traditionnelles alors que les Pharisiens n'ont pas encore organisé le judaïsme rabbinique dans leur diaspora est une vue de l'esprit où les Judéo-chrétiens qui s'en distinguent ne sont pas encore catholique.

Si le Christ vit encore à Rome jusqu'en 64 – comme tend à le confirmer la surprenante relique du « Quo Vadis » sur la Via Appia – on comprend mieux que l'apôtre Paul ait pu croire son retour éminent.

« Ceux qui disent que le Seigneur est mort d'abord et qu'il est ressuscité se trompent, car il est ressuscité d'abord et il est mort » dit l'évangile de Philippe. Il est mort mais Dieu l'a mis près de Lui pour qu'il ressuscite encore dans sa parousie.

   

    

lundi 24 octobre 2022

Sol et Mani

...

« Ces quelques exemples [ « le culte des collines, des arbres, des cascades ou des pierres » ] sont suffisamment éloquents.

« Ils expliquent aussi pourquoi j'ai tenter de substituer [ à des ] structures [ tri-fonctionnelles* ] trop abstraites et [ trop ] rationnelles une justification de la religion germano-nordique par le culte des grandes forces naturelle ...

« Soleil – Eau – Terre »

« ... incontestablement révérées depuis toujours sous ces latitudes.

[ * Structures tri-fonctionnelles que Boyer qualifie de « duméziliennes » par référence à celles que Dumézil attribue aux Indo-européens. ]

« Le Soleil, l'Air [ et ] le Feu constamment présent sous toutes sortes de symbolisations dans les gravures rupestres de l'âge du bronze [ de 1500 à 400 avant l'ère chrétienne ] ...

« ... non seulement sont personnifiés par des dieux – archaïques assurément – « Tyr » – « Tituaz », le ciel diurne signifie proprement Dieu – ou « Ullr » – « Uulthus », idée de splendeur céleste – ou – plus généralement – par la famille des Ases ...

« ... dont le nom peut – selon l'étymologie la plus communément reçue – renvoyer également à l'idée de splendeur de vie, ...

« ... mais ils ont peut-être même été vénérés en tant que tels, selon les espèces du couple « Sol »  proprement Soleil [ au ] féminin – et Mani – Lune [ au ] Masculin [ comme ] frère de « Sol ».

Cf. Régis Boyer – Le Christ des barbares [ dans ] Le monde nordique [ du neuvième au treizième siècle ]  Essai sur la mentalité religieuse des anciens scandinaves – Un monde de nature rurale et familiale (1987)

Luminaires qu'on retrouvent dans les Hymnes homériques – Artémis à l'Arc d'or / Apollon à l'Arc d'argent – et dans l'Apocalypse d’Éphèse – la femme nimbée du Soleil – qui fait correspondre Marie à Mara – cf. Ap XII 1 + H III 140 ; IX 5 et XXVII 6

Bien que le classicisme s'en souvienne à la Renaissance, le Coït alchimique de Mylius inverse leurs polarités en 1628 et le Cantique des créatures de l'Alter-Christus évoque dès le XIIIe siècle messire frère Soleil et sœur Lune avec les étoiles.

On peut démontrer par ailleurs que le Cantique franciscain du Poverello s'inscrit dans un septénaire qui place le Soleil et la Lune au début de la Semaine et notre sœur la Mort corporelle le jour du Sabbat.

La femme nimbée du Soleil qui apparaît dans l'Apocalypse comme une effigie semblable à celle d'Artémis foule la Lune sous son talon et s’auréole d'une douzaine d'étoiles qui remémore ici le plérôme des lunaisons synodiques plus que les tributs d'Israël.

Raison pour laquelle le Serpent qui représente avec sa maison zodiacale la treizième lunaison sidérale se retrouve sous la Lune comme l'une des étoiles qui s'y trouve associées dans le Cantique ombrien.

   

    

vendredi 21 octobre 2022

Le Christ au Blanc Manteau

...

« ... les inscriptions runiques [ sont ] éparses dans toute l'air d'expansion germanique avec – bien entendu – une très forte concentration en Scandinavie même.

« On sait que les runes, nées vers la fin du IIIe siècle sur le modèle d'alphabets nord-italiques furent une écriture comme une autre de vingt-quatre signes – « futhark » – ...

« ... réduits à seize vers 850 [ sous l'archiépiscopat d'Anschaire à Hambourg ] de caractère exclusivement épigraphique.

« Elle adornent surtout des monuments commémoratifs – pierres levées – et majoritairement – surtout plus ira le temps – s'intéressent à des phénomènes relevant de la christianisation.

« Des monuments comme les pierres de Jelling – Danemark – ou de Frösö – Suède sont – le premier surtout – des témoins historiques de première valeur [ de cette christianisation. ]

« Ils ont l'avantage [ ... ] de nous fournir la preuve – strictement contemporaine des faits – de l'implantation – en acte – par des œuvres, de la religion nouvelle » [ Charlemagne ayant détruit l'ancienne. ]

« Telles sont [ avec l'archéologie et les sagas ] les sources qui vont [ nous restituer ] l'image les images – que s'est faites de Jésus-Christ le monde germano-nordique à l'époque de sa conversion.

« De Jésus-Christ ou plutôt de « Blanc-Christ » – « Hvita-Kristr » – puisque c'est très souvent ainsi qu'il est nommé dans nos textes [ en attribuant la blancheur de l'Agneau à ] une expression nordique de la pureté et de la perfection ...

« ... symbolisées par la couleur blanche dans le monde germano-nordique. »

Cf. Régis Boyer – [ Introduction pour ] Le Christ des barbares [ dans ] Le monde nordique [ du neuvième au treizième siècle ] (1987)

   

    

dimanche 16 octobre 2022

La déconstruction du Royaume

...

Ce dont nous rendons compte en évoquant l'enquête d'Emmanuel Carrère, c'est de la constitution des séries qui énumèrent les émetteurs, les transmetteurs et les récepteurs des quatre prédications néotestamentaires.

Émetteurs

Transmetteur

Récepteurs

Jésus

Matthieu

Nazaréens (1)

  Pierre  

Marc

  Judéo-chrétiens (2)  

Paul

Luc

Catholiques (3)

Jean

  le Théologien  

1. le corpus nazaréen est [ dans l'ordre canonique ] celui de

  • Matthieu

2. les six corpus judéo-chrétiens sont [ dans l'ordre canonique ] ceux de

  • Marc

  • Jacques

  • Pierre

  • Jean [ l'Ancien ] pour Marc dans les deux dernières épîtres johanniques

  • Jude

  • Jean [ l'Apôtre ] pour l'apocalypse du Boanergès

3. les quatre corpus catholiques sont [ dans l'ordre canonique ] ceux de

  • Luc

  • Jean [ le Théologien ] pour la première épître johannique et le dernier évangile

  • Paul

  • Pierre

Ce qui ne fait que huit corpus néotestamentaires tant qu'on confond l'Apôtre et le Théologien des corpus johanniques ou neuf dès lors qu'on identifie Marc à l'Ancien.

Les deux épîtres de Pierre passent d'un groupe à l'autre et les fragments des Stromates de Clément d'Alexandrie témoignent de ce passage après la douzaine d'années qui suit la prédication originelle – donc théoriquement vers 45.

L'édition intégrale de la Traduction Œcuménique de la Bible identifie les huit passagers de l'Arche de Noé qui apparaissent dans les deux épîtres de Pierre aux membres de sa famille – sa femme, ses trois fils et leurs épouses.

Ils ne peuvent correspondre aux huit corpus néotestamentaires qu'en identifiant le disciple que Jésus aimait à Lazare avant que le corpus johannique du Théologien ne se l'approprie mais après que la prédication paulinienne ne soit ratifiée par l'église judéo-chrétienne.

Pierre est la grande figure de la prédication universelle au-delà de la prédication originelle qu'il aura trahi trois fois pour passer de l'une à l'autre avant que le coq ne chante ; le coq faisant allusion ici à l'église de Gaule – celle du disciple bien-aimé.

Ce qui ressemble le plus au dogme et à la liturgie catholiques que Carrère tend à déconstruire en perdant la foi est stratifié par l'historiographie lucéenne, par la théopathie paulinienne et par la théologie johannique.

[ Un mythe fondateur, une expérience mystique et une idéologie religieuse. ]

La doxa de l'historiographie la plus récente que Carrère s'approprie pour mieux s'en défaire est stratifié par un point de vue synoptique réduit à sa plus simple expression – celle de Marc – et par une praxis judéo-chrétienne désuète.

Il y a en-deçà de cette déconstruction et de cette appropriation une stratification originelle qui est celle de la tradition synoptique la plus ancienne – celle de Matthieu – et celle d'une sympathie primitive qui fut celle du disciple que Jésus aimait.

« Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt pas,
il reste seul ;
mais s’il meurt,
il porte beaucoup de fruit. »

Jean XII 24
   

    

mercredi 12 octobre 2022

L'encens d’Éphèse

...

« À peu près en même temps que celui de Luc [ vers la fin des années soixante-dix ] un autre Évangile [ celui que l’Église a placé en premier dans le canon du Nouveau Testament ] s'écrivait en Syrie, à l'usage des Chrétiens d'Orient.

« On a dit que son auteur était Matthieu, le percepteur qui était devenu l'un des Douze.

« On a dit aussi que derrière Matthieu se cachait [ ... ] Philippe, l'apôtre des Samaritains [ dont Carrère fait un informateur de Luc à Césarée à la fin des années cinquante. ] [ ... ]

« Dans les années vingt du [ deuxième ] siècle – sous le règne [ de ] Trajan – [ ... ] l'évangile selon Jean a paru à Éphèse, ...

« ... où [ plus ] personne désormais ne doutait que c'était le témoignage du disciple que Jésus aimait [ que Carrère identifie à l'Ancien qui signe les deux dernières épîtres du corpus johanique. ]

« Mais d'autres églises en ont douté. La querelle a fait rage jusqu'au IVe siècle, les uns soutenant que Jean était l’Évangile définitif, annulant les rustiques tentatives précédentes, les autres que c'était non seulement un faux mais un faux teinté d'hérésie.

« Le canon a tranché, finalement. Jean a échappé de justesse au sort des apocryphes, qu'il aurait pu rejoindre dans les ténèbres extérieures tant il est étrange et différent des trois Évangiles unanimement acceptés. Il est – à jamais – le quatrième. »

Cf. Emmanuel Carrère – Le Royaume – Épilogue (Rome, 90 – Paris 2014)

« ... dans la pénombre et l'encens d’Éphèse, on ne sait plus qui est qui. »

À l'ombre – l'ambre – l'Aigle et l'Ange
   

    

mardi 11 octobre 2022

La théandrie des magiciens

...

« Cette histoire de conception virginale, les témoins des deux témoins les plus anciens du christianisme [ selon Carrère ] – Paul et Marc – ne la connaissent pas.

« Dix ou vingt ans plus tard [ « vers la fin des années soixante-dix » ] elle apparaît dans deux Évangiles dont les auteurs s'ignorent mutuellement.

[ Ce qui est rigoureusement impossible si le récit qu'ils ont en commun ne se retrouve ni chez Marc ni dans l'hypothétique source « Q » d'un recueil qu'on imagine comme la simple collecte de Paroles attribuées à Jésus. ]

« Luc écrit à Rome et Matthieu en Syrie, ils racontent tous les deux la naissance de Jésus et, sauf sur ce point, leurs récits n'ont rien en commun.

« Matthieu dit que des magiciens [ sic ] sont venus d'Orient, guidés par une étoile, pour adorer le futur roi des Juifs.

« Il dit dit que le vrai roi des Juifs – Hérode – apprenant cela et craignant d'être un jour détrôné, a fait massacrer tous les enfants de moins de deux ans dans la région.

« Il dit que Joseph – prévenu par un ange – a sauvé sa famille en l'emmenant en Égypte.

« Luc [ qui d'après Carrère aurait déjà écrit ses Actes ] ne sait rien de tout ça, qui n'est pourtant pas banal, mais il dit comme Matthieu que Jésus est né d'une vierge.

« D'où cette histoire sort-elle ? Qui la mise en circulation ? Personne n'en sait rien.

[ En vérité, tout le monde devrait savoir qu'elle apparaît chez Matthieu et que Marc qui écrit sous la dictée de Pierre l'ignore. ]

« Sa naissance est mystérieuse, même si on n'accepte pas que celle de Jésus le soit. Je n'ai pas de théorie à ce sujet. »

Cf. Emmanuel Carrère (2014) – Le Royaume – Luc (60-90)

Mais Carrère relève ensuite la diachronie chez Luc du recensement décrété par César Auguste que Quirinus alors gouverneur de Syrie est chargé d'appliquer en Palestine dix ans après la mort d'Hérode sous le règne duquel Matthieu fait naître Jésus.

La naissance à Bethléem chez Matthieu ne vise pas à accomplir « une prophétie totalement marginale et contournée » dans la généalogie du Messie mais à identifier le Sauveur au culte dionysiaque qui s'y perpétue.
   

30 – 40

Évangile des Nazaréens

Matthieu

40 – 50

Évangile des Ébionites
par Jean l'Ancien

Marc

50 – 60

Évangile à Théophile

Luc

60 – 70

Actes de Pierre et de Paul

70 – 80

Apocalypse du Boanergès
par l'Apôtre Jean

Jean

80 – 90

  Évangile du disciple bien-aimé  
par le Théologien

    

     

dimanche 9 octobre 2022

Les agités du bocal

...

« Question : qui visent – au seuil de l'Apocalypse – ces imprécations lancinantes contre la synagogue de Satan, les Nicolaïtes, les Juifs qui n'en sont pas et qui se repaissent de viandes sacrifiées aux idoles ?

« La [ Traduction Œcuménique de la Bible ] dit sans broncher : les Juifs qui n'acceptent pas le Christ.

« Si vous avez lu ce qui précède [ dans les messages qu'elle adresse « aux anges chargés de veiller sur chacune des sept églises d'Asie » ] avec un minimum d'attention, les bras doivent vous en tomber, comme à moi.

« De qui se moque la [ Traduction Œcuménique de la Bible ? ] Où a-t-on vu que des Chrétiens du [ premier ] siècle reprochent à des Juifs leur irrespect des prescriptions rituelles ?

« Non, là-dessus, le doute n'est pas permis. Ceux qui sont accusés de manger de la viande sacrifiée aux idoles, ou d'en laisser manger, ...

« ... ou de dire que ce n'est pas grave d'en manger parce que rien n'est impur en soi – les mots qui sortent de notre bouche peuvent l'être [ ... ] mais pas les aliments qui y entrent – ce sont évidemment Paul et et ses disciples.

« La synagogue de Satan, les Nicolaïtes, la fausse prophétesse Jézabel, c'est eux, et celui qui les traite de ces noms d'oiseaux ne peut être qu'un judéo-chrétien issu de la frange la plus intégriste de l'église de Jérusalem, ...

« ... en comparaison de qui feu Jacques frère du Seigneur était un modèle de tolérance et d'ouverture à la nouveauté. »

Cf. Emmanuel Carrère (2014) – Le Royaume – Luc (60-90) [ citant le premier chapitre de l'Apocalypse :

- « la synagogue de Satan » : cf. les églises de Smyrne et de Philadelphie,

- « les Nicolaïtes » : cf. les églises d’Éphèse et de Pergame,

- « Les Juifs qui n'en sont pas : cf. les églises de Smyrne et de Philadelphie,

- « Les apôtres » qui n'en sont pas non plus : cf. l'église d’Éphèse,

- « la fausse prophétesse Jézabel : cf. l'église de Thyatire...

De l'église de Sarde, il est dit qu'elle est morte. De celle de Laodicée, on dit qu'elle est tiède et qu'on va la vomir. ]

Carrère est très convaincant mais la raison pour laquelle il fait écrire l'épître de Jacques par Luc reste un mystère ; la seconde à Thimothée passe encore ...

Il ne voit pas que l'Apocalypse puisse « contenir tous les secrets du passé, du présent et de l'avenir » qu'il attribue à Joachim de Flore et à Nostradamus.

Mais ni l’Évangile éternel de Flore qui disperse la Sainte Trinité à travers les âges ni les Centuries de Nostradamus qui aurait rencontré les Israélites de Samarie dans le Nord de l'Italie ne sont à mettre en cause.

Le pape des « agités du bocal » qui s'agitent avec Phil Dick et Dan Brown quand Carrère les identifie aux « ésotéristes » [ sic ] c'est le vénérable Barthélémy Holzhauser (+ 1658) dans la veine apocalyptique de l'adventismes et de l'évangélisme.

Si les églises de l'Apocalypse n'ont pas grand chose à voir avec la théorie des âges dans l’Église catholique, on ne peut pas écarter celle des temps apocalyptiques (360) qui ne concernent que les deux témoins qui se tiennent devant le Seigneur de la terre.

« 3,5 x 360 = 1.260 = 630 x 2 »

L'évangile du disciple bien-aimé que le Théologien attribue à Jean la met dans la bouche des prêtres et des lévites envoyés par les Juifs de Jérusalem pour interroger le Précurseur à propos du Messie et du Prophète.

Et tout porte à croire que les scribes et les pharisiens qui ne s'opposent pas à la messianité du Christ mais ne s'attendent pas à voir venir ce Prophète des confins de Canaan qui se trouvent en Galilée partagent cette théorie.

Nous avions qualifié d'Hébreux les Israélites auxquels s'adresse Matthieu et d’Israélites les Juifs auxquels s'adresse Marc. Ce n'est pas tout à fait inexacte du point de vue des ensembles où nous percevons maintenant les éléments.
   

Apocalypse

Holzhauser

Charles Taze Russell

William Branham

Éphèse

Jésus

33

Paul

53

Paul

Smyrne

Néron

73

Jean

170

Irénée

Pergame

Constantin

325

Arius

312

Martin

Thyatire

Charlemagne

1160

Waldus

606

Colomban

Sardes

Charles Quint

1378

Wicliff

1520

Luther

Philadelphie

1518

Luther

1750

Wesley

Laodicée

1874 *

Russell

1906

Branham

* 1830 pour les amis d'Alexandre Freytag
   

    

vendredi 7 octobre 2022

Les territoires du possible

...

« ... si je suis libre d'inventer c'est à la condition de dire que j'invente, en marquant aussi scrupuleusement que Renan les degrés du certain, du probable, du possible et – juste avant le carrément exclu – du pas impossible, ...

« ... territoire où se déploie une grande partie de ce livre. » [ ... ]

« C'est la dernière trace qu'on ait de Paul. [ La seconde épître à Timothée que Carrére attribue à Luc après lui avoir attribué aussi celle de Jacques. ]

« Une palpitation de fantôme, un clignotement épuisé avant que la nuit engloutisse tout.

« À ce point de l'histoire [ « la grande persécution d'août 64 » ] tous les personnages principaux [ « de la première génération chrétienne » ] disparaissent. [ Sans que Luc n'en dise rien. ]

« Tous sauf Jean. [ ... ] Jean est le personnage le personnage le plus mystérieux de la première génération chrétienne. Le plus insaisissable, le plus multiple.

« On lui attribuera bientôt le quatrième Évangile et l'Apocalypse [ que nous attribuons respectivement au Théologien et à l'Apôtre ] ...

« ... mais penser que le même homme [ les ] a écrit [ tous les deux ] reviendrait [ ... ] à penser que le même homme à écrit [ au XXe siècle ] « À la recherche du temps perdu » [ de Proust ] et « Voyage au bout de la nuit » [ de Céline. ]

[ Carrère n'évoque pas ici les trois épîtres johanniques que nous attribuons au Théologien et à Marc qui s'identifie dans les deux dernières à l'Ancien que Carrère appelle Jean-Marc dans les Actes des apôtres de Luc. ]

« Il y a plusieurs Jean dans le Nouveau Testament [ ... ] : Jean de Zébédée, Jean le disciple bien-aimé, Jean de Patmos, [ que nous identifions à l'Apôtre sur le modèle de Lazare pour le disciple que Jésus aimait ] ...

« [ et ] Jean l'évangéliste [ que nous identifions au Théologien de la première épître johannique. ]

« Le plus ancien [ ... ] c'est sans conteste [ le ] fils de Zébédée qui était un des quatre premiers disciples [ avec ] Simon qui deviendra Pierre, son frère André [ ... ] et [ le ] frère [ de Jean ] Jacques qu'on appelait [ ... ] le Majeur ». [ ... ]

« Jésus surnommait Jacques et Jean « Boanergès », les fils du tonnerre, ... »

Cf. Emmanuel Carrère (2014) – Le Royaume – Luc (60-90)

Mais le plus ancien des Jean apparaîtrait aussi comme le plus récent dans l'Apocalypse si la réécriture du disciple bien-aimé par le Théologien de la première épître johannique n'était insérée artificiellement entre l’Évangile de Luc et les Actes des apôtres.
   

Évangile de Luc
à Théophile

Évangile selon Jean
du Théologien

Actes des apôtres
de Luc
à Théophile

   

    

mercredi 5 octobre 2022

Sources du troisième type

 ...

« Spéculer sur les sources des Évangiles n'est pas un sport moderne. Les lettrés chrétiens s'y adonnent depuis le IIe siècle, l'opinion dominante ayant longtemps été celle d'Eusèbe de Césarée [ ... ] selon laquelle Matthieu a écrit le premier.

« C'est seulement au XIXe siècle que l'exégèse allemande a établi l'antériorité de Marc et l'hypothèse dite des deux sources que presque personne aujourd'hui ne conteste. »

[ Donc – selon Carrère – Marc s’insère entre Paul et Luc. ]

« Selon cette hypothèse, Matthieu et Luc ont tous les deux – indépendamment l'un de l'autre – eu accès au texte de Marc et – chacun de leur côté – l'ont en grande partie recopié : c'est la première source.

« Mais ils auraient aussi eu accès à une seconde source – ignorée de Marc – encore plus ancienne que son évangile, et a dû très tôt être perdue.

[ Quelle puisse être ignorée par Marc tout en étant la plus ancienne et la seule à s'être perdue est plutôt invraisemblable. ]

« Bien qu'il n'en existe aucune trace matérielle, [ presque ] tous le monde [ ... ] admet que ce document a dû exister, ...

[ Cet impératif ne dépend que de l'historiographie qu'il tend à démontrer. ]

« ... et ressembler de très près à la reconstitution qu'en a proposée en 1907 l'exégète libéral Adolf von Harnack sous le nom de « Q » pour « Quelle » qui signifie « Source » en allemand. »

« Le principe qui a permis cette reconstitution est simple : sont présumés appartenir à « Q » tous les passages communs à Matthieu et à Luc qui ne viennent pas de Marc.

« Ces passages sont nombreux et – ce qui rend l'hypothèse encore plus solide – ils se présentent dans le même ordre dans les deux Évangiles.

[ Ce surcroît d'argument qui se trouve être le premier n'éprouve que leur parenté. ]

« Mais – dira-ton – si chacun a usé des deux mêmes sources, et dans le même ordre, leurs textes devraient identique ? Non, car chacun avait en outre une troisième source, n'appartenant qu'à lui.

[ Ce qui n'est une source que pour ce qui en découle. ]

Cette troisième source l'exégèse allemande lui donne un nom [ ... ] : son « Sondergut », c'est à dire son « Bien propre ».

« Pour résumer [ ... ] on peut dire que l’Évangile de Luc est composé d'une moitié de Marc, d'un quart de « Q » et d'un quart de « Sondergut ». [ ... ]

[ Hélas, Carrère ne nous donne pas la recette de Matthieu mais suppose que Marc est seulement une source propre. ]

« [ Le recueil d'Harnack ] se présente comme un recueil d'une petite dizaine de pages – 250 versets – et la première chose qui frappe quand on l'aborde c'est que les neuf dixième de ces 250 versets ne sont pas des récits mais des paroles de Jésus. » [ ... ]

[ Et rien ne s'oppose à ce qu'un tel recueil somme toute assez semblable aux « Paroles cachés » que Jésus aurait confié à son didyme ait pu exister. ]

« Aucun homme n'a jamais parlé comme cet homme. » [ Jean VII 46 ]

« Imaginons que Paul n'ait pas existé, le christianisme non plus, et qu'il ne reste de Jésus, prêcheur galiléen du temps de Tibère, que ce tout petit recueil.

« Imaginons qu'il ait été ajouté à la Bible hébraïque comme un prophète tardif ou qu'il ait été découvert deux mille ans plus tard, parmi les manuscrits de la mer Morte.

« Je pense que nous serions sidérés par son originalité, sa poésie, son accent d'autorité et d'évidence, et que hors de toute église il prendrait place parmi les grands textes de sagesse de l'humanité, aux côtés des paroles du Bouddha et de Lao-Tseu. »

« ... la seule philosophie sûre et profitable. » [ Justin ]

Cf. Emmanuel Carrère (2014) – Le Royaume – L'enquête (Judée, 58-60)

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