lundi 31 octobre 2022

Le modèle standard

...

Dans l'annexe qu'il consacre aux évangiles synoptiques, Jean-Christian Petitfils évoque un modèle standard qui date l'évangile de Marc du début des années 70 et ceux de Matthieu et de Luc de la fin des années 80.

La Source « Q » théorisée par l'exégèse judéo-protestante à la fin du XIXe siècle vient enrichir dans cet espace chronologique les évangiles de Matthieu et de Luc sur les versets qu'ils ont en commun (235) et qu'ignore celui de Marc :
   

 Versets 

 Marc 

 Matthieu 

 Luc 

 Marc 

661

600

350

 Matthieu 

600

1068

235 *

 Luc 

350

235 *

1149

 + 

30

233

564

   
* Carrère évoque un recueil de 250 versets dont il attribue le recensement qu'il date de 1907 à Adolf von Harnack.

L'absence de référence explicite aux événements de 70 – le sac de Jérusalem par les troupes romaines et la destruction du Temple d'Adonaï prophétisée par Jésus – rend ce modèle standard plutôt invraisemblable.

Elle rend nécessaire pour se maintenir dans sa logique initiale le recours à de nouvelles médiations plus vraisemblables mais tout aussi théoriques que la Source « Q » et pour la première d'entre-elles quelque peu redondante avec sa théorie.

Le nouveau modèle repose sur une version sémitique – hébraïque ou araméenne – de l'évangile de Matthieu dont dépendent les synoptiques en passant par des versions intermédiaires en langue grecque des évangiles de Matthieu et de Luc.

Ces versions intermédiaires qui correspondent à une dichotomie entre le judéo-christianisme et catholicisme produisent celles que nous connaissons dès les années 60 sur base de références attestées par l'usage chez les premiers Pères de l’Église.

Les sources particulières (+) et la Source « Q » viennent enrichir les textes intermédiaires en laissant l'évangile de Marc presque entièrement dépendant de cette dichotomie dans la traduction du texte sémitique que d'autres éludent en recourant à la tradition orale.

Trois écueils mettent néanmoins à mal ce nouveau modèle : le texte originel qui n'existe pas n'a pas besoin d'exister pour expliquer les sémitismes qui émaille les textes grecs et son existence théorique rend celle de la Source « Q » qu'on réaffecte superflue.

Enfin, il est peu vraisemblable et contraire à l'ordre canonique qu'un évangile lucéen puisse précéder celui de Marc que certains attribuent directement à Pierre en supposant qu'il s'adresse de Rome à des Pagano-chrétiens.

Le colophon de la première épître de Pierre évoque néanmoins leur séjour à Babylone et il n'y a probablement pas d'Hellèno-chrétien à Rome avant l'arrivé de Paul.

Les Judéo-chrétiens auxquelles ils s'adressent ne sont sans doute pas des Juifs convertis au Christ mais des « Craignant Dieu » convertis à une nouvelle forme de judaïsme.

La simultanéité des textes – celle des évangiles de Matthieu et de Luc – relève pour chaque modèle de la théorie synoptique qui se dote d'une origine imaginaire en estompant les stades ultérieurs de leur développement.

Mais le nouveau modèle a l'avantage de se donner pour origine celle de l'ordre canonique qu'il interprète à partir de sa conviction – l'origine hébraïque d'une secte juive – en escamotant le stade intermédiaire que le modèle standard érige à sa place.

Flavius Josèphe en distinguant les Juifs des Hellènes ignorait l'origine nazaréenne. Le Talmud en condamnant les Nazaréens et les Minimes ignore les Hellènes – les Minimes désignant les Judéo-Chrétiens comme des hérétiques.

En les rassemblant, on ne dresse pas un tableau baroque de phalènes évanescent qui s'agitent autour du flambeau de la grande Église catholique. On retrace la route de ceux qui la précèdent et qui demeurent jusqu'à ce qu'elle reviennent.

   

    

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