dimanche 26 mars 2023

Le Soufre rouge

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« La science des lettres fut aussi l'objet de quelques présentations en Occident non pas dans la perspective d'une recherche universitaire mais selon l'esprit même de cette science et par référence à l’œuvre du Sheykh al-Akbar. »

« Dans un article écrit peu de temps après son arrivée au Caire, René Guénon donna [ dès 1931 ] un aperçu de la science des lettres où il traite tout d'abord de la notion de langue primordiale, ...

« ... en reprenant l'expression de « lugha suryâniyya » que l'on trouve [ entre autres ] chez les « Ikhwân al-Safa » et [ chez ] d'autres auteurs [ dont al-Bûnî dans son ouvrage sur le Soleil suprême des connaissances. ]

« Ce qu'il dit ensuite de la constitution des langues sacrées en citant le [ deuxième ] chapitre des « Futûhât » ne s'y trouve pas exactement mais correspond plutôt au [ cinquième ] chapitre [ sur ] la « Fâtiha » ...

« ... et peut-être aussi au chapitre 198 [ des « Futûhât » ] sur le « nafas » [ le souffle parfois identifié à la ramâniyya d'ar-Ramân ]

« En réalité, il semble plutôt que ces données aient été communiquées à René Guénon par transmission orale [ parce qu'elles ne démontrent pas son accès direct aux textes. ]

« Il n'est pas sans intérêt de remarquer que pour les applications secondaires de la science des lettres – « sîmiyâ' » – [ Guénon ] se réfère à ibn Khaldûn ...

« ... autrement dit à ce que ce dernier avait lui-même reçu à son arrivée en Égypte, mais sans la même ouverture spirituelle.

« Vraisemblablement sans avoir lu ibn Arabî, René Guénon n'en avait pas moins saisi l'importance de la science des lettres pour la compréhension du cas spirituel du Sheykh al-Akbar ...

« ... et ceci à travers son autre surnom initiatique : « al-Kibrît al-ahmar »  « le Soufre rouge ».

« Il conclut ainsi son article : « ... seul peut opérer activement dans tous les mondes celui qui est parvenu au degré du « Soufre rouge », ...

« ... désignation indiquant une assimilation qui pourra paraître à certains quelque peu inattendue, de la « science des lettres » avec l'alchimie.

« En effet ces deux sciences, entendues dans leur sens profond, n'en sont qu'une en réalité, et ce qu'elles expriment l'une et l'autre, sous des apparences très différentes, n'est rien d'autre que le processus même de l'initiation, ...

« [ expression ] qui reproduit d'ailleurs rigoureusement le processus cosmogonique, la réalisation totale des possibilités d'un être s'effectuant nécessairement en passant par les même phases que celles de l'Existence universelle. »

[ Ce qui indique que du point de vue de la Science des lettres, la maîtrise du Souffre rouge et la résurrection du Phœnix décrivent la même réalisation cosmogonique de l'Existence universelle. ]

« Les mystères de la lettre Nûn » article publié quelques années plus tard montre combien René Guénon est proche d'ibn Arabî dans l'interprétation du symbolisme, en particulier à propos du « nûn » supérieur et inférieur.

« Dans d'autres articles, René Guénon montre également combien le langage de la science des lettres en Islam est adapté à l'expression de la doctrine métaphysique et cosmologique. »

[ Cf. Ses Aperçus sur l'ésotérisme islamique, les Symboles fondamentaux de la Science sacrée et le Symbolisme de la Croix.

Gril note que « la signification cosmique et eschatologique de la lettre « nûn » correspond plutôt à d'autres données diffuses dans la tradition islamique que l'on trouve chez ibn Massara, ibn Sasî ou al-Bûnî. »

Le « nûn » supérieur (50) et inférieur (50) correspond au palindrome que nous mettons en relation avec le damier (10 x 10) comme expression du microcosme dont le macrocosme correspond à celui du « wâw » en relation avec les douze maisons zodiacales.

Les quatre-vingt jours sabbatiques (52 + 28) correspondent au palindrome du « mîm » qui constitue un isthme entre le microcosme et le macrocosme sous la forme d'un octogone entre le carré du damier et le cercle du zodiaque. ]

« Michel Valsan, à partir d'une correspondance avec René Guénon portant en partie sur le symbolisme des lettres laissa deux articles sur le sujet : « Un symbole idéographique de l'Homme universel » suivi du « Triangle de l'Androgyne et le monosyllabe Ôm ».

« L'indication confiée par René Guénon était un triangle dont le sommet porte un « alif » et la base un « dâl » et un « mîm » soit les trois lettres du nom « Adâm » ; ...

« ... à l'intérieur [ de ce triangle ] un [ autre ] triangle inversé dont la base porte un « hâ » et un « wâw » et le sommet un « alif » donne le nom « Hawâ' » – « Ève ».

« Sur le côté droit du grand triangle on peut lire « Ahad » – « Un » – [ ... ] sur le côté gauche « Awn » – « Ôm » – et sur la base « Dâma » [ ou ] « Dâ'im » – « Permanent ».

[ Notons que « Dâ'im » ou « Dâma » constitue précisément la base du damier que nous mettons en relation avec le palindrome de la lettre « nûn » dans la dimension anthropologique de l'Androgyne primordial. ]

« À partir de cette figure et de données relevant de la science des lettres et inspirées par l'enseignement d'ibn Arabî, Michel Valsan tire des conclusions d'une grande importance pour la doctrine des états multiples de l'être et l'Homme universel.

« Il interprète ce symbole comme un « sceau des deux sciences sacrées des nombres et des lettres. Ces sciences sont en réalité les deux branches principales de la science plus générale des Noms – applicables aussi bien dans l'ordre divin que dans l'ordre cultuel – ...

« ... qu'Allâh a enseignée par privilège à Adam – cf. S 2 V 31 et Gn II 19-20 – et le fait que cet « alif » est dans notre schéma tout d'abord l'initiale du nom d'Adam, illustre parfaitement la vérité que ces deux sciences sont deux attributs complémentaires et solidaire de l'Homme universel... »

« La référence à la tradition primordiale, en la personne d'Adam, et hindoue, suggérée par la présence du monosyllabe « Awm », à travers la tradition abrahamique, explique la rencontre de l'Inde et de l'Islam ou du début et la fin du cycle.

[ La personne d'Adam évite au contraire d'identifier le manou du manvantara à une création spécifiquement hindoue et si l'Islam se caractérise par l'unité de sa monosyllabe, les éléments d'une tradition abrahamique n'apparaissent pas dans cette construction.

Il est néanmoins probable qu'il faille situer cette tradition primordiale – celle d'Adam – dans un espace culturel reparti sur le pourtour de ce que nous appelons l'océan indien. ]

« Comme chez les « Ikhwân al-safâ » la comparaison de deux alphabets donne tout son sens à cette rencontre, notamment par le rapprochement entre les deux vocables « Awm » et « Amîn » – dont la dernière lettre est un « nûn ». »

[ Rapprochement qu'on peut étendre à « Amon » et « Amen » qui restent en relation avec le Verbe originel en démontrant l'origine méridionale des traditions égyptienne et israélite qui s'y réfèrent et a laquelle l’hébraïsme d'Abraham n'aurait pu prétendre. ]

« La science des lettres constitue donc la clé de toute connaissance depuis l'origine ou l'audition du son primordial jusqu'à sa résorption lors de l'accomplissement du cycle.

« Il faut insister ici sur l'importance de cette étude non seulement parce qu'elle s'inspire largement de l'enseignement du Sheykh al-Akbar sur les lettres mais aussi parce qu'elle en souligne la dimension la plus universelles. »

« Il ressort de ce qui précède que la science des lettres a revêtu en Islam deux aspects : l'un cosmologique, d'origine hellénistique surtout chez Jâbir [ dont Gril suppute l'influence sur Guénon ] et les « Ikhwân al-safâ », ...

« ... l'autre, métaphysique, spirituel et eschatologique d'inspiration coranique, représenté aussi bien par le shi'isme ésotérique [ chez les « Hurûfîs » ] que par le « tasawwuf ».

« Cependant aucun des deux n'exclut l'autre et les deux courants s'interpénètrent, rendu solidaire par le [ Noble ] Coran où Révélation et Création sont associées par la parole existentiatrice [ sic ] du « kûn ».

[ Tels qu'ils sont portés par le « wâw » (6) et le « yâ » (10) qui côtoient le Calame de l'intellection du « alif » dans la hiérarchie des lettres chez le Sheykh al-Akbar. ]

Cf. Denis Gril – La science des lettres avant et après ibn Arabî [ dans ] Les Illuminations de La Mecque [ dirigées par Michel Chodkiewicz ] (1988)

Pour être tout à fait complet sur l'apport de cette science à l'Occident en dehors de la recherche universitaire rappelons celui du bektashisme sur la Société Thulé de Rudolf von Sebottendorf transposé en langue allemande dans la mystique germanique.

Cet apport initiatique à la mystique germanique qu'on qualifie d'occultisme en l'attribuant au nazisme est plus proche du « shi'isme » ésotérique que du « tasawwuf » akbarien pour reprendre les catégories de Gril.

   

    

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