vendredi 10 septembre 2021

Le royaume des mancies

Pour le quatrième cycle du huitième mois de la décade
comprenant la nuit et le jour :

« Si le surréalisme est un ésotérisme, ce n'est pas par les appuis dont il s'est assuré dans le royaume antique et actuel des mancies de haute ou de petite tenues, [ ... ]

« [ ... ] c'est en lui-même, en vertu de son seul projet de changer la vie et de refaire l'entendement, et à la faveur des sacrifices symboliques consommés en commun.

« Une soirée rue du Château vaut bien la Cène, une matinée rue Fontaine peut tenir lieu de Pentecôte. Je plaisante.

« Mais tout de même, il y a toujours eu, dans le groupe, des moments de fusion qui inclinaient ses membres à se croire habités par une sorte de grâce efficace qui les haussait au-dessus d'eux-mêmes et les constituait en un corps exemplaire :

« [ ... ] non tellement vertueux mais sagaces, informés de première et de toutes mains des soubresauts de l'esprit, alertés dans le faux pas, dans le lapsus, éveillés dans le rêve, connaissant la nuit du tombeau et le désespoir « dans ses grandes lignes », [ ... ]

« [ ... ] éprouvant le vertige d'une résurrection permanente, initiés en quelque sorte par la profusion harassante, éclairante, sans cesse changée et renouvelée de leurs propres « mystères ».

« Pourtant, à la tentation du repli sur un secret partagé, de l'action dans l'ombre, de l'institution de ce que Monnerot appelle une « aristocratie du miracle », s'oppose en permanence un besoin de même force d'intervention publique, [ ... ]

« [ ... ] de prouesse scandaleuse et, plus généralement, le souci de rendre à tous un compte exhaustif des expériences les plus risquées, des trouvailles les moins explicables, des conjectures aussi chancelantes que la tour Saint-Jacques [ ... ]

« [ ... ] et [ que ] le tournesol délirant qui, de justesse, en assure le précaire équilibre. » [ ... ]

« Par inclination personnelle et sans prétendre le moins du monde épuiser ou réduire le sujet, je tenterai, pour conclure, d'entreprendre une « lecture » allégorique liée à la geste arthurienne et à la Quête du Graal. »

« La mise en commun de la pensée, la délivrance de toute pensée recevable ou non dans les catégories conceptuelles du temps où elle s'énonce, le dépassement corrélatif des contradictions, prétendues insurmontables, qu'engendrent le principe de réalité [ ... ]

« [ ... ] et la suppression sociale qui l'utilise au-delà de toute nécessité, le pouvoir de briser les chaînes, telles sont les « vertus » du Graal surréaliste. »

« Démarche proprement gnostique : il s'agit, en se rendant digne de l'Objet fabuleux, de délivrer une fois pour toutes [ le royaume des mancies ] accablé des moisissures d'un mauvais sommeil, [ ... ]

« [ ... ] ce pays où s'épuisent en redites les jours de notre vie et où chacun fait figure [ ... ] de roi blessé, appliquée à oublier sa plaie en se donnant, entre autres, le divertissement de la pêche.

« La pièce de Julien Gracq – « Le Roi pêcheur » – librement reprise du conte de Perceval et de ses transcriptions allemandes, exprime on ne peut mieux ce qu'a pu être, du haut de leur « château étoilé », l'attente active des surréalistes, [ ... ]

« [ ... ] l'accueil fait aux voyageurs, l'espoir mis dans les hôtes futurs. »

Cf. Philippe Audoin (1973) – Les Surréalistes cité par Henri Béhar et Michel Carassou [ Nous modifions la référence au « pays gast » et au « roi méhaigné ». ]

Futur qui est devenu notre présent puisque nos entomologistes épinglent son passé entre 1916 et 1969 – avec autant d'années qu'il y a de semaines dans chacune d'entre elles.

« Il semble que, dans l'obscurité des réactions mentales intéressées à cette opération, tentent de s'élaborer deux structures homologues [ ... ]

« [ ... ] qui permettent seules au courant de passer entre ces objets qui seraient sans commune mesure si l'on s'en tenait à leurs qualités sensibles les plus évidentes.

« Assurément cette primauté de l'image ainsi conçue, cette façon de comprendre la poésie, n'est pas sans relation avec ce que l'on devrait appeler la pensée traditionnelle, plutôt qu'occultiste ; [ ... ]

« [ ... ] celle-ci, en effet, fonde tous ses exposés, tous ses raisonnements, et même l'essentiel de sa démarche sur le principe de l'analogie. Et, l'analogie est, dans le surréalisme, un élément fondamental.

« Il n'a garde pour autant de se rattacher au passé, bien qu'il y trouve ainsi plus d'un répondant.

« Disons que dans la mesure où il s'oppose, en tant qu'essai de méthode, en tant que pas risqué, à la pensée discursive, descriptive, comparative que nous utilisons sans doute à bon endroit mais à laquelle nous n'avons que trop tendance à nous tenir, [ ... ]

« [ ... [ et qui, asservie à un projet d'efficacité immédiate ou différée, paraît s'arrêter en deçà des objets dont elle s'approche, le surréalisme se propose d'atteindre à quelque au-delà des objets – ou du moins à leur plus extrême proximité.

« En ceci il est absolument moderne tout en tournant le dos à son temps.

« On trouverait dans tous les jeux surréalistes des illustrations à ce que [ Philippe Audoin ] envisage ici touchant la pensée analogique et son choix comme mode électif de cheminement, de création, d'expression. »

Cf. Philippe Audoin (1978) au colloque de Cerisy cité par Henri Béhar et Michel Carassou

La théorie des images fondées sur l'analogie est celle que Breton emprunte à Reverdy. Elle est « absolument moderne ». C'est le commandement que Rimbaud ne s'adresse qu'à lui-même dans l'Adieu d'une Saison en enfer :

« Oui, l'heure nouvelle est au moins très sévère.
Car je puis dire que la victoire m'est acquise : [ ... ]
Il faut être absolument moderne.
Point de cantiques : tenir le pas gagné. »

   

    

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