samedi 12 août 2023

Le chant triste des oies sauvages

...

« Il reste que l'imitation ou l'emprunt pur et simple sont aussi des phénomènes historiques biens attestés.

« La première hypothèse qu'il convenait d'envisager consistait à se demander si les catégories de pensée et les techniques d'art que les troubadours introduisent brusquement [ ... ]

« ... au sein de la civilisation occidentale ne proviendraient pas d'une autre civilisation, contemporaine mais plus précoce et déjà plus riche [ du point de vue de ces catégories et de ces techniques. ]

« Byzance paraissant hors de cause [ ... ] il ne peut s'agir que de l'Islam. » [ ... ]

« L'imagination des poètes de Bagdad avait projeté cet idéal dans une figure mythique, celle de la tribu légendaire [ ... ] qui aurait vécu quelque part au sud de l'Arabie, aux confins du Yémen [ que Davenson qualifie d'odhrite – c'est-à-dire virginal. ]

Cf. Henri Davenson – Les troubadours – L'hypothèse arabe (1964)

Mais il ne s'agit pas seulement de légendes et la figure mythique qui unit le roi Salomon à la Reine du Midi trace ici son continuum culturel :

Occitanie

Maghreb

Syrie

Yémen

Cette transmission s'enrichit d'un patrimoine iranien et mandingue qui est celui que l'Asie et l'Afrique lèguent aux strates intermédiaires et chaque étape à son propre génie où entre aussi la poétique gréco-latine hellénisante ou grégorienne.

« L'hypothèse d'une origine arabe [ en Espagne ] de la poésie des troubadours suggérée dès le XVIe siècle par G. M. Barbieri et défendue à la fin du XVIIIe [ siècle ] par le jésuite espagnol exilé J. Andrés a été bien souvent reprise depuis et tout récemment encore.

« Elle a rencontré d'autre part des adversaires aussi résolus que ses partisans pouvaient être enthousiastes [ Menéndez Pelayo [ y ] Pidal ] : l'un des défendeurs les plus ardent de la thèse a été le regretté A. R. Nyki – un arabisant de Chicago d'origine slovaque. » [ ... ]

Cf. Op. Cit. Ibidem (1964)

Mais c'est envisager l'hypothèse par le petit bout de la lorgnette arabique.

Nous retranscrivons très librement en substance ces vers que Davenson attribue à Hamzah ibn abî Daygham pour ce qu'ils ont d'exemplaires :

Nous somme restés tous deux à l'arrière des tentes
sans demeurer près d'eux ni rejoindre l'ennemi

Nous y avons passé la nuit puis la rosée
enivrés et transis des parfums du Yémen

Écartant loin de nous la folle ardeur pour Dieu
lorsque nos cœurs ensembles s'y mirent à battre

Revenus abreuvés de chastes retenues
juste à peine effleurées aux lèvres écarlates

Ce à quoi ibn Sâra de Santarem plein de courtoisie – « zarf » – et de convenance – « adab » consent  :

Souvent mon amie m'a visité la nuit
jusqu'à l'aube

Noire comme sa chevelure et blanche comme l'éclat de son visage

Je l'ai eue pour commensal tandis que l'amour virginal
livrait sous la prunelle de ses yeux
des assauts incessants

Ces assauts sont ceux d'un « trobar » clos – le « trobar » étant ici le chant du troubadours – dont ibn al-Haddâd de Cadix se fit l'écho :

J'ai tu le nom de mon amie que je ne prononce jamais
et ne cesse par mes énigmes de le rendre encore plus obscur

Ce que le « mameluk » de son amour déclame sous son nom d'emprunt – « senhal » – avec ibn Zaidûn de Cordoue :

Entre toi et moi si tu le voulais
il y aurait quelque chose qui jamais ne se perdrait

Un secret qui alors que tous les autres seraient divulgués
resterait caché

Si tu chargeait mon cœur de ce qu'aucun autre ne peut supporter
le mien le pourrait

Qu'a dit la petite oie blanche à des amants trop empressés ? Je suis une Conception immaculée. Un temps qui ne tient plus qu'à trois ... deux ... un ... zéro :

Je connais de toi un secret plus profond que ton cœur

une âme sœur

entre un océan qui déferle et un abîme que rien ne vient combler

Qui peut transmettre l'essence de l'être en soi ?

   

    

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