mercredi 11 novembre 2020

À l'Est de Saint-Pétersbourg

Pour le vingt-et-unième cycle du premier mois de la décade
comprenant la nuit et le jour :

« Cinq ou six siècles passent... L'arène de la manœuvre est demeurée identique. C'est toujours l'énorme Asie, avec ses étendues colossales, augmentées maintenant de la moitié de l'Europe, [ ... ]

« [ ... ] et, comme jadis, c'est toujours le cadre-né et le support rêvé des grandes hégémonies terrestres de la planète, des vastes constructions politiques des perturbateurs terriens. »

« La Russie tsariste [ ... ] succède dans cette prodigieuse aire géographique eurasique aux Mongols et aux Turcs de toute catégorie.

« Elle devient l'héritière des Gengis-Khan, des Tamerlan, des Soliman, de tous ces cousins ouralo-altaïques, fléaux vomis par l'Asie pour l'effroi et la destruction de l'Occident.

« Saint-Pétersbourg [ ... ] [ s'inscrit ] à [ son ] tour sur la liste où sont figuré successivement Karakoroum, Samarkand, Stamboul, épicentres des séismes politique qui ont ébranlé l'Asie et par contre-coup l'Europe. »

« La Russie prend plus particulièrement la suite du Mongol de la grande époque gengiskhanide.

« Il en a été longtemps le vassal, la victime, l'esclave, lutant contre [ le ] royaume de la « Horde d'Or » que les invasions d'autrefois avaient laissé comme une alluvion du Dnieper à l'Oural.

« C'est contre ce Mongol que la Moscovie naissante a pris conscience d'elle, a fait son unité, a acquis péniblement, petit à petit, sa figure d’État.

« Ayant balayé définitivement son oppresseur, elle a pris sa place, et [ ... ] le problème de la manœuvre politique et militaire s'est posé, avec le même point d'interrogation quand à la direction de l'effort principal, avec les mêmes tiraillements entre l'Est et l'Ouest. »

« La Russie tsariste a résolu ce problème, en ce qui concerne l'Asie, en menant de ce côté une politique active visant à accroître le patrimoine national jusqu'aux limites du possible. »

« Au XVIe siècle, Ivan le Terrible a commencé, après la disparition du Mongol, en débordant vers l'Astrakan et au delà de l'Oural avec les raids d'Yermak et de ses compagnons.

« Dès le XVIIe siècle, les conquistadors moscovites ont, d'un seul temps de galop, mis la main sur la Sibérie, parvenant, avec une rapidité extraordinaire, en 1619 à Iénisséi, en 1632 à Yakoutsk, en 1636 à Okhotsk, sur le Pacifique, [ ... ]

« [ ... ] ne s'arrêtant dans la vallée de l'Amour que devant la résistance de la Chine – traité de Nertchinsk [ en ] 1689.

« Au XIXe siècle, par une action continue et persévérante, la Russie a enlevé aux Persans, aux Turcs, et aux autochtones toute la Transcaucasie Géorgie, Gourie, Mingrélie, Iméréthie, Daghestan, Arménie, Abkhazie, Kars, Batoum, ... »

« Mais c'est surtout après ses déboires européens, après la guerre de Crimée et celle de 1877-1878, après les congrès de Paris et de Berlin, que la Russie est revenue vers l'Asie pour y trouver des consolations et de substantiels dédommagements.

« Au lendemain de la guerre de Crimée commence la grande poussée russe en Asie Centrale.

« Ce sont successivement l'installation dans la vallée inférieur du Syr-Daria (1854-1856), la conquête de Tchemkent (1864), de Tachkend (1865), de Khodjend (1866), de Samarkand et [ de ] Bokhara (1868), de Khiva (1873), du Fergana (1876).

« En Extrême-Orient, le traité d'Aïgoun avec la Chine donne en 1858 toute la rive gauche de l'Amour à la Russie, et, en 1860, le traité de Pékin y joint la Province Maritime.

« Vladivostok est fondé en 1861. Il n'est pas jusqu'à la Dzoungarie dont les Russes n'occupent temporairement une partie (1871-1879). »

« Après la guerre de 1877-1878, Saint-Pétersbourg répare l'écroulement de son rêve de San-Stefano en donnant plus d'élan encore à sa progression asiatique. Celle-ci intéresse tous les secteurs.

« En Perse, les Russes pénètrent pacifiquement. Ils dominent le pays financièrement, par invasion bancaire, encadrent son armée, obtiennent le monopole des concessions de chemins de fer et de routes, réalisent l'infiltration économique ; [ ... ]

« [ ... ] l'arrangement du 31 août 1907 avec l'Angleterre leur assujettit toute la partie Nord de l'Iran.

« En Asie Centrale, la Russie complète son avance antérieure en mettant la main sur le pays des Turkmènes (1879-1882), en prenant Merv (1884), en construisant son chemin de fer transcaspien (1880-1888)

« Elle est au Pamir en 1895. Elle pénètre économiquement en Kachgarie (1879-1881). Elle se glisse au Thibet auprès du dalaï-lama et mobilise le bouddhisme à son profit (1894-1902).

« Puis, à partir de 1890, les Russe délaissent le secteur des Indes pour se passionner pour l'Extrême-Orient. Ils parviennent à rendre toute-puissante leur influence à la cour de Pékin.

« Ils évincent en 1895 le Japon de Port-Arthur pour y prendre sa place trois ans plus tard. Ils construisent leur transmandchourien et leur sud-mandchourien.

« Enfin, à la faveur de l'insurrection des Boxers, c'est l'installation en Mandchourie (1900-1904), ce sont des visées plus étendues encore sur la Corée, bref tout ce qui sera ruiné par la guerre russo-japonaise.

« La Mongolie elle-même est peu à peu gagnée par l'inondation russe, et, en moins de vingt ans (1898-1915), un quasi protectorat moscovite mettra cette province sous le contrôle entier de Saint-Pétersbourg. »

« Après une cinquantaine d'années passée à cultiver spécialement le théâtre d'opérations asiatiques, la Russie tsariste n'est revenue exclusivement et sérieusement vers l'Europe et les affaires européennes qu'en 1907, après la guerre russo-japonaise.

« Et on peut même dire que durant cette période et les précédentes, son effort anti-asiatique, sa seule présence même, ont eu pour effet de protéger l'Europe contre l'Asie [ ... ]

« [ ... ] et de constituer pour la civilisation occidentale une barrière contre les périls qui auraient pu, comme au moyen âge, venir de ces régions. La Russie prenait [ la ] figure d'avant garde du monde blanc vis-à-vis des menaces éventuelles de l'autre continent. »

« En somme, au cours de ses retournements asiatiques, la Russie tsariste cherchait de ce côté des avantages importants et définitifs, auxquels elle attachait grand prix.

« Son expansion extérieur était en grande majorité centrée dans cette direction. L'Est était l'objectif principal. C'était l'idée de manœuvre de Gengis-Khan. Quand les tsars s'engageaient en Asie, ils le faisaient avec l'esprit de Monka ou de Koubilaï. »

Cf. Amiral Castex (1935) – De Gensis-Khan à Staline ou Les vicissitudes d'une manœuvre stratégique (1205-1935) – La manœuvre tsariste [ ... ]

Les alluvions de la « Horde d'Or » montre que la limite continentale eurasiatique ne se trouve pas sur les hauteurs de l'Oural mais qu'elle s'est déplacée vers la dépression du Dniepr qui relie la Mer Noire à la Mer Baltique.

Le monde blanc qui se trouve en Scandinavie au-delà des régions lacustres qui s'étendent du Golfe de Finlande à la Mer Blanche est impropre pour désigner la civilisation occidentale qui fut littéralement celle de l'homme rouge.

La Russie est donc bien la figure de proue de ce monde intérieur qu'elle protégeait des incursions continentales en-deçà d'une limite antérieure qui se trouvait sur le Rhin et sur le Danube à l'époque romaine et jusqu'au Pont-Euxin en Colchide.

   

   

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire