jeudi 12 novembre 2020

Au Sud du Yang-Tsé-Kiang

Pour le vingt-deuxième cycle du premier mois de la décade
comprenant la nuit et le jour :

« [ ... ] en dépit [ des ] apparences, la direction de l'expansion mongole n'est [ pas ] aussi ferme avec les successeurs de Gengis-Khan qu'avec l'ancêtre lui-même. L'idée de manœuvre de celui-ci se transforme, s'altère [ ... ] insensiblement.

« L'Est, qui n'était auparavant qu'une direction secondaire, qu'un azimut n'existant qu'aux fins de sûreté, qu'un satellite et un serviteur de la direction principale vers l'Occident, [ ... ]

« [ ... ] va [ gagner ] des points dans l'esprit des dirigeants, des détenteurs de la pensée stratégique et politique. Il va s'imposer de plus en plus en vertu des bénéfices qu'il promet. »

« De ce côté, les opérations n'ont d'ailleurs jamais été arrêtées. Sous Ogodaï [ 1229-1241 ] elles se sont continuées jusqu'à la complète conquête de l'empire de l'empire des Kin (1234). Les Mongols sont alors maîtres de toute la Chine du Nord jusqu'au Yang-Tse.

« Ils pourraient s'arrêter. Au contraire, ils vont maintenant s'attaquer à la Chine du Sud, à l'empire national des Song, pourtant leur ancien allié contre les Kin.

« À la cour de Karakoroum, tout un clan pousse à cette orientation d'intention nouvelle, tendant à rechercher dans ce secteur des avantages toujours plus étendus.

« Il y a un parti « chinois » très puissant, qui se dresse comme un rival vis-à-vis du parti « vieux mongol » [ celui de « l'empire à cheval » ]. Ogodaï lui doit son élection. L'administration mongole, composée d'Oïgours et de Chinois, lui est inféodée.

« Le premier ministre d'Ogodaï, le Chinois Yé-Lou-Tchoutsaï, impose ses volontés à son souverain, [ ... ]. On marchera donc contre les Song, sans succès d'abord, à part la conquête du Se-Tchouen (1236), [ ... ]

« [ ... ] et pour commencer, on piétine devant le Yang-Tse jusque vers 1250. »

« Monka [ 1251-1259 ] persévère dans cette ligne. Il charge son frère Koubilaï d'en finir avec l'empire Song. Koubilaï tourne l'obstacle du Yang-Tse par le Yunnan et le Tonkin (1252-1257) et il pénètre dans la Chine du Sud ainsi prise à revers.

« Il arrête pourtant sa marche victorieuse, par une trêve avec les Song, quand il apprend la mort de Monka (1259). »

« Pendant ce temps, Monka, qui accorde aux affaires orientales une attention sans cesse accrue, cède de plus en plus à l'attraction de la Chine et de l'énorme domaine que ses généraux sont en train d'y conquérir pour lui.

« Fait significatif : en 1257, il transfère sa capitale de la vielle Karakoroum mongole à la ville chinoise de Kaï-PingCheng-Tou – à la frontière de la Mongolie et du Pe-Tchi-Li. »

« Ce sera pis encore sous son successeur Koubilaï (1264-1294), qui [ par ] ailleurs portera l'empire mongol à son apogée.

«  Koubilaï, déjà gouverneur des provinces chinoises soumises, entièrement absorbé et dominé, de cœur et d'esprit, par l’œuvre de la conquête, s'est entouré de conseillers chinois. Il baigne dans cette atmosphère. [ ... ]

« Dès son avènement, il transporte la capitale de Kaï-Ping à Pékin même, où il bâtit en 1267 la « ville tartare », le Khanbalik – le Cambalay de Marco-Polo.

« Il devient plus empereur chinois qu'empereur mongol. Il fonde la dynastie chinoise des Yuan, qui durera jusqu'à son remplacement par la dynastie nationale des Ming (1638).

« Il prend le nom chinois de Chi-Tsu et n'aspire plus qu'à être un véritable Fils du Ciel et qu'à continuer la tradition des vingt-deux dynasties précédentes.

« Le petit-fils de Gengis-Khan, l'enfant préféré de l'aïeul, s'est aiguillé dans une voie entièrement différente de celle suivie à l'origine par le fondateur.

« C'est le triomphe définitif du parti chinois. C'est le glissement du cerveau directeur mongol vers la Chine et vers la mer, qui agira, moralement, comme un violent facteur de dislocation de l'empire gengiskhanide.

« La partie la plus importante de cet empire, la masse chinoise conduite par le chef en personne, tendra à se détacher, par effet centrifuge, du corps central, essentiellement continentale, où a résidé jusqu'ici la base de l'édifice politique établit par Gengis-Khan.

« Les liens se relâcheront de plus en plus entre l'empereur devenu chinois et ses vassaux de l'Ouest, resté turco-mongols, et tout s'écroulera un jour pour cette raison. »

« Les opérations militaires matérialisent la direction politique nouvelle. C'est d'abord l'achèvement de la conquête de la Chine du Sud, qui ne sera close qu'avec la prise de la capitale Hang-Tchéou en 1276 et celle de Canton en 1227.

« C'est l'annexion de la Corée. Ce sont les deux expéditions malheureuses contre le Japon (1274 et 1281), dont la seconde aboutit à un désastre.

« Ce sont les campagnes menées contre l'Annam et le Tsampa (1282-1287), l’établissement de la suzeraineté mongolo-chinoise sur la Birmanie, le Siam, l'empire Khmer du Cambodge (1287-1297), [ ... ]

« [ ... ] et même l'entreprise tentée sans succès contre Java (1292-1293). »

« En résumé, dès l'avènement de Kiboulaï, le sort en est jeté. Le changement est net et caractéristique. On cesse de regarder vers l'Ouest. On a d'yeux que pour l'Est.

« L'Est devient l'objectif principale, alors qu'il n'était autrefois qu'objectif secondaire, cultivé accessoirement et en fonction de l'action principale. C'est le renversement total de l'idée de manœuvre [ originelle ], de celle du créateur de l'empire mongol.

« Le plan de Gengis-Khan est intégralement retourné, et la nouvelle manœuvre, celle de Kiboulaï, est à l'antipode de la sienne.

« Elle le ruinera entièrement, et l'empire, l'empire fabuleux qui va des bouches du Yang-Tse à la mer Noire, mourra de cette infraction à la doctrine stratégique initiale, périssant par dissociation, par éclatement. »

Cf. Amiral Castex (1935) – De Gensis-Khan à Staline ou Les vicissitudes d'une manœuvre stratégique (1205-1935) – La manœuvre mongole

Tamerlan sera le continuateur providentiel de Gengis-Khan et l'empire gengiskhanide se prolongera dans l'empire moghol jusqu'au XIXe siècle en s'étendant jusqu'à Zanzibar dans un Orient transfiguré par l'homme aux semelles de vent.

« 1257 – 1368 »

   

    

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