mardi 10 novembre 2020

À l'Ouest de Karakoroum

Pour le vingtième cycle du premier mois de la décade
comprenant la nuit et le jour :

« Faisons, par la pensée, à reculons dans le temps, un bond de quelque sept siècles en arrières. Là-bas, au fond de l'Asie, aux sources de l'Onon et et de la Kéroulen, un homme, Temoudjine, est né parmi les Mongols.

« Au cours de vingt années de dures luttes (1186-1206), il est parvenu à soumettre à son autorité, non seulement les [ cinq ] tributs mongoles [ ... ] Taïdjout, Djouirat, ...  mais aussi les peuplades turques avoisinantes – Kéraït et Naïman.

« En 1206, à la grande assemblée ou Kouriltaï turco-mongole, il a créé l'unité de la nation des Mongols bleus, pris le titre impérial et le nom de Tchingiz Khan – empereur absolu, autocrate.

« En même temps, il se déplace vers l'Ouest, vers le nouveau centre de gravité turco-mongol, et il fixe sa capitale à Karakoroum, non loin de l'Ourga actuel. Et c'est ainsi que Gengis-Khan entre dans l'histoire. » [ ... ]

« Le plan de Gengis-Khan n'est autre que la reconstitution [ ... ] de l'ancien empire turc des Tou-Kioue – les Tourquios des chroniques byzantines – qui, au VIe siècle, s'étendait de la Caspienne au Baïkal, englobant les Mongols eux-mêmes.

« Il s'agit de réunir de nouveau en un seul empire [ ... ] tous les peuples turco-mongols épars dans cette immense étendue, et d'y incorporer même ceux qui se sont fixés plus à l'Ouest, vers l'Europe. »

« Projet grandiose, en grande partie instinctif, fruit du passé, de la tradition, et aussi de certains facteurs géographiques.

« Notons que, les Mongols se trouvant à l'extrême Est de la future construction politique à édifier, la réalisation du projet implique un effort majeur dirigé vers l'Ouest.

« En d'autres termes, si l'on cherche à concrétiser la manœuvre de Gengis-Khan par une orientation dominante, on peut dire que, pou elle, l'Ouest est l'objectif principal. »

« Bien entendu, avant d'entreprendre une opération aussi importante que cette manœuvre [ vers ] l'Ouest, il convient [ ... ] d'assurer sa sûreté contre ce qui pourrait la troubler.

« Or, Gengis-Khan doit à cet égard compter sur l'hostilité [ ... ] de la Chine du Nord [ ... ] de l'empire des Kin, avec laquelle la rupture est déjà à moitié consommée du fait de la constitution de la jeune nation mongole et de la prise du titre impérial par Temoudjine.

« Gengis-Khan est donc impérieusement conduit, avant de se lancer vers l'Ouest, à envisager une action préalable de sûreté vers l'Est, dirigée contre la Chine des Kin, action destinée [ ... ] à assurer [ ... ] les [ arrières ] de l'opération principale, [ ... ]

« [ ... ] et aussi, ultérieurement, à trouver dans l'empire Kin des ressources et des forces supplémentaires [ des mercenaires ] servant cette opération principale [ en ] accroissant sa puissance. » [ ... ]

« L'action de sûreté vers l'Est occupera Gengis-Khan pendant une dizaine d'années. Elle doit être [ ... ] couverte [ ... ] par une [ ... ] sous-sûreté dirigée vers l'Ouest et [ vers ] le Sud [ ... ] laissant au Mongols les mains libres pendant la liquidation de l’affaire chinoise.

« Les étapes sont facile à suivre. C'est d'abord de 1206 à 1209 la guerre contre les Si-Hia de la vallée supérieure [ ... ] du Fleuve Jaune [ le Hoang-Ho ] et la soumission de ce peuple à la domination mongole.

« [ ... ] les Kirghiz de l'Iénisséi sont domptés (1207-1208), ainsi que les Mergued de l'Irtych (1208-1209). Les Oïgour des monts Tian-Chan et les Karluk du lac Balkach et de la Dzoungarie s'inclinent à leur tour de bon gré devant l'astre naissant (1209-1211).

« Affranchi de préoccupations de ce côté, Gengis-Khan peut mener à son gré l'opération de sûreté [ à ] l'Est [ vers ] la Chine du Nord. Il marche vers la Grande-Muraille en 1209 et envahit le Pe-Tchi-Li en 1211. Pékin est pris en 1215.

« La conquête de la Chine se poursuit peu à peu, mais à une allure plus lente [ ... ]. Les Kin transfèrent leur capitale à Kaï-Fong et continue à se défendre pied à pied.

« Les Mongols ne viendront entièrement à bout de la résistance chinoise qu'en 1234, sous le règne d'Ogodaï [ 1229-1241 ] et ce n'est qu'à cette époque qu'ils atteindront le Yang-Tsé-Kiang, après vingt-cinq ans de guerre.

« La puissance et la valeur déployées par l'adversaire montrent [ ... ] bien quelle imprudence Gengis-Khan aurait commise en donnant suite à son projet occidental avant d'avoir réalisé sa sûreté vis-à-vis de l'empereur de Pékin.

« Celui-ci était bien l'ennemi qu'il convenait d'abattre en premier lieu. »

« En 1217, si la guerre de Chine est encore loin d'être terminée, Gengis-Khan pense [ ... ] que l'empire Kin est réduit à l'impuissance, qu'il a cessé d'être dangereux, et que la sûreté est acquise sinon totalement du moins à un degré suffisant.

« Il laisse son lieutenant Mukuli continuer les opérations dans cette région, avec des effectifs diminués, et il revient à Karakoroum pour effectuer de là son retournement vers l'Ouest, objectif principal auquel il peut maintenant consacrer tous ses efforts. »

« Cette partie essentiel des opérations se déroulera sans interruption pendant les dix années suivantes. On connaît les phases de cette épopée.

L'empire des Kara-Khitaï qui occupe [ en partie ] la Dzoungarie et la Kachgarie, subit le premier choc de l'armée mongole revenue de Chine et il s’effondre d'un coup (1217-1218).

« Puis les Mongols s'attaquent à l'empire turc du Kharezm, où Méhémed le Batailleur règne sur la Transoxiane, la Perse et l'Afghanistan.

« Ils réussissent avec une maestria extraordinaire leur immortelle manœuvre du Syr-Daria, s'emparent de Bokhara et de Samarkand et subjuguent tout le pays (1220-1221).

« Quittant ces parages à la poursuite des débris ennemis, Djébé et le fameux Souboutaï entreprennent autour de la Caspienne et de la mer d'Aral, à travers la Perse, le Caucase et la Russie méridionale, la célèbre chevauchée des Vingt-Cinq Mille (1220-1224).

Pendant leur absence, Gengis-Khan a achevé la conquête du Kharezm et mené à bien celle de l'Afghanistan.

« Quand le Fondateur rentre à Karakoroum (1225) et quand il meurt deux ans plus tard au siège de Ning-Hia, en Chine – le 18 août 1227 – son œuvre est à peu près consolidée et la partie la plus importante de son idée de manœuvre initiale est réalisée.

« L'empire mongol s'étend en longitude du Caucase à la Corée. »

« L'édifice n'est cependant pas achevé. En latitude, il est loin de couvrir toute la terre d'Asie comprise entre ces deux méridiens.

« Notamment, en dehors du cadre provisoirement tracé, de nombreux peuples turco-mongols demeurent, tous situés en Occident, résidus des invasions des siècles passés – Turcs Seldjoucides d'Asie Mineure, Alains et Kiptchak de la Russie du Sud, Hongrois, ...

« Il faut les intégrer à la grande famille, et pour cela persévérer dans la poussée vers l'Ouest, poursuivre lez plan du Maître, persister sans faiblir dans la manœuvre originelle.

« Le parti [ des ] « vieux mongols », celui de « l'empire à cheval », n'y faillira pas. Il reste fidèle à l'inspiration première. »

« Pour y satisfaire, l'empereur Ogodaï – [ le ] successeur de Gengis-Khan – déclenche la grande invasion de l'Europe. Les principes mongols, Batou en tête, sous la direction technique et militaire du vieux Souboutaï, se lancent à travers la Moscovie, [ ... ]

« [ ... ] écrasent les Russes aux batailles de l'Oka et de la Sita (1237-1238), brûlent Moscou, Yaroslav, Tver, Wladimir, prennent et détruisent Kiev (1240).

« Puis, après s'être concentrés à Lemberg en janvier 1241, les Asiatiques envahissent l'Europe centrale en quatre colonnes.

« Celle de droite culbute des Polonais à Szydlov, près de Sandomir [ ... ], puis le duc Henri de Silésie [ ... ], et, tenant en respect l'armée de Wenceslas de Bohême et les forces de l'Empire, elle se rabat vers le Sud à travers la Moravie.

« Les trois autres colonnes, franchissant les Carpates sur un très large front, du col de Jablunka au col de Borgo, se concentrent dans la plaine hongroise et détruisent l'armée du roi Bela IV de Hongrie à Mikolsk [ ... ].

« Toute la Hongrie est occupée et les cavaliers mongols apparaissent sur l'Adriatique, d'Udine à Cattaro.

« L'invasion du Saint Empire romain germanique doit suivre, lorsque la nouvelle de la mort de l'empereur Ogodaï fait rebrousser chemin à ces hordes remarquablement organisées, les arrêtant sur la route de l'Atlantique, [ ... ]

« [ ... ] sauvant non seulement l'Empire, mais aussi la France de Saint-Louis et tout le reste de l'Occident chrétien, transformant en simple raid ce qui aurait pu être une domination permanente.

« Il n'en reste que l'établissement sur la basse Volga de cette « Horde d'Or » et de son royaume du Kiptchak, qui tiendra pendant deux siècles (1240-1480) la Russie en état de vassalité et presque de servage.

« Plus au Sud, la même direction [ vers ] l'Ouest est pratiquée et exploitée au même moment. L'armée mongole de Tchourmagoun conquiert la Grande Arménie, le Kurdistan, la Géorgie (1231-1239).

« Puis Baïtchu soumet les Turcs Seldjoucides et occupe l'Asie Mineure jusqu'à Konia (1243). »

« L'empereur Monka (1251-1259) [ le successeur d'Ogodaï ] accomplit le dernier acte du plan gengiskhanide orienté vers le couchant.

« Son frère Houlagou est chargé par lui de la conquête définitive de la Perse, à peine occupée jusque là, puis de celle de la Mésopotamie et de la Syrie, et ce programme est mené à bien de 1256 à 1260. »

Cf. Amiral Castex (1935) – De Gensis-Khan à Staline ou Les vicissitudes d'une manœuvre stratégique (1205-1935) – La manœuvre mongole

En 1258, le califat abbasside de Bagdad est transféré au Caire. Le sultanat ottoman est instauré à Andrinople par Orkhan en 1346 et le sultanat moghol par Tamerlan en 1402.

Le califat est transféré à Istanbul par Sélim en 1517 après avoir rehaussée la sépulture du Sheykh al-Akbar à Damas.

Le siège lamaïque du Bogdo Khan à Ourga dont l'autorité initiale relevait du siège impérial de Karakoroum est vide depuis 1924.

Cette date coïncide avec le démantèlement du sultanat ottoman (1922) et du califat (1924) soixante-six ans après le démantèlement du sultanat moghol (1858) par le Raj britannique.

« 1258 – 1858 »

   

    

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