Pour le quinzième cycle du premier
mois de la décade
comprenant la nuit et le jour :
Tu me dis que ces vers sont obscurs et
peut-être
Qu'ils le sont moins pourtant que je ne l'ai voulu
Sur
le bonheur volé fermons notre fenêtre
De peur que le jour n'y
pénètre
Et ne voile à jamais la photo qui ta plu
Tu me dis [ : ] Notre amour s'il
inaugure un monde
C'est un monde où l'on aime à parler
simplement
Laisse là Lancelot ] [ Laisse la Table Ronde
Yseut
[ – ] Viviane [ – ] Esclarmonde *
Qui
pour miroir avaient un glaive déformant
Lis l'amour dans mes yeux et non pas
dans les nombres
Ne grise pas ton cœur de leurs philtres
anciens
Les ruines à midi ne sont que des décombres
C'est
l'heure où nous avons deux ombres
Pour mieux embarrasser l'art
des chiromanciens
La nuit plus que le jour aurait-elle
des charme
Honte à ceux qu'un ciel pur ne fait pas soupirer
Honte
à ceux qu'un enfant tout à coup ne désarme
Honte à ceux qui
n'ont pas de larmes
Pour un chant dans la rue ] [ une fleur dans
les prés
Tu me dis [ : ] Laisse
un peu l'orchestre des tonnerres
Car par le temps qu'il
fait il est de pauvre gens
Qui ne pouvant chercher dans les
dictionnaires
Aimeraient des mots ordinaires
Qu'ils se puissent
tout bas répéter en songeant
Si tu veux que je t'aime apporte-moi
l'eau pure
À laquelle s'en
vont leurs désirs s'étancher
Que ton poème soit le sang de ta
coupure
Comme un couvreur sur la toiture
Chante pour les
oiseaux qui n'ont où se nicher
Que ton poème soit l'espoir qui dit [
: ] À suivre [ ... ]
Au bas
du feuilleton sinistre de nos pas
Que
triomphe la voix humaine sur les cuivres
Et donne une
raison de vivre
À ceux que
tout semblait inviter au trépas
Que ton poème soit dans les lieux
sans amour
Où l'on trime [ – ] où l'on saigne [ – ] où l'on
crève de froid
Comme un air murmuré qui rend les pieds moins
lourds
Un café noir au point du jour
Un ami rencontré sur le
chemin de croix
Pour qui chanter vraiment en
vaudrait-il la peine
Si ce n'est pas pour ceux dont tu rêves
souvent
Et dont le souvenir est comme un bruit de chaînes
La
nuit s'éveillant dans tes veines
Et qui parle à ton cœur comme
au voilier le vent
Tu me dis [ : ] Si tu veux que je
t'aime et je t'aime
Il faut que ce portrait que de moi tu
peindras
Ait comme un ver vivant au fond d'un chrysanthème
Un
thème caché dans son thème
Et marie à l'amour le soleil qui
viendra
Ce que dit Elsa à Louis dans son Cantique en 1942
* Esclarmonde [ dans le légendaire pyrénéen ] « c'est la Dame blanche, synthèse de l'antique déesse des sources et du personnage historique [ ... ] de Foix, brûlée [ sur le bûché de Montségur ] en 1244. »
Cf. Jean Markale (1986) – Montségur et l'énigme cathare – Montségur et le Graal
AVIGNON
25 septembre 1946
Ici
le vent joue avec la ceinture
D'un souvenir heureux ou
malheureux *
Bel
Avignon ville de l'aventure
Où tout ressemble à ceux-là qui
se turent
En emportant leur secret merveilleux
**
L'amour
y prend cette clarté d'épure
Que rien n'explique excepté qu'on
est deux
Et Juliette ou Laure la plus pure
Expire Elsa
si tu ferme les yeux ***
* Heureux celui qui meurt d'aimer ... si fort ces lèvres closes / qu'il n'est besoin de nulle chose / hormis le souvenir des roses ... celles de la belle Cassandre et de Marie aussi pour qui Ronsard eut le cœur transi avant qu'il l'eut en cendre sans un merci.
** Seuls le savent ceux qui se turent pour les Poètes de 1960 réitère l'arcane du secret merveilleux ... celui d'une mise à mort de la créature animale qu'ils tuent au nom bien, au nom du mal. C'est un dualisme cathare qui accède à l'idéal.
*** La Juliette de Roméo ou la Laure de Pétrarque. Les yeux d'Elsa apparaissent comme l'une et l'autre – heureuse ou malheureuse / passionnée ou idéalisée.
6 novembre 1946
L'homme
en vain se croit le vainqueur
C'est ici la ville d'Elsa
Et
sous le pont qui se brisa
Passe le Rhône avec mon cœur
*
Et la plainte des remorqueurs
**
Passe
le Rhône avec mon cœur
Et l'amour dont il se grisa
Et le
long chant qui se brisa
De celle tant qu'il jalousa
Mariniers
arrêtez mon cœur
C'EST ICI LA VILLE D'ELSA ***
* Double réitération de la Seine et du Pont Mirabeau d'Apollinaire (1912) tandis que sous le pont de nos bras passe des éternels regards l'onde si lasse.
** Et la plainte des remorqueurs pour Rimbaud et son Bateau ivre (1871) qui ne se sentit plus guidé par les haleurs [ ... ] sous les regards horribles des pontons.
*** C'est ici le lieu de la révélation comme c'est ici celui de la Sagesse dans l'Apocalypse pour déchiffrer le nombre de la bête – cf. Ap 13, 18.
6 novembre 1946
Dix-huit ans je t'ai tenue
enfermée *
Dans mes bras comme Avignon dans ses murs
Dix-huit
ans comme un seul jour parfumé
Que mon amour t’enclôt
[ sic ] dans son armure **
L'automne a déjà ses rouges
ramées
L'hiver est déjà sous l'or des ramures
Mais
que peut l'hiver mon enfant aimée
Si demeure en nous le divin
murmure ***
Si quand le feu meurt monte la
fumée
Et garde la nuit le goût noir des mûres
* Il y a un avant et un après mardi 6 novembre 1928 qui est la date de leur rencontre au bar de la Coupole du Montparnasse. Sa vie en vérité commence le jour où il l'a rencontré. Louis est né vraiment de sa lèvre. Sa vie est à partir d'Elsa.
** Il y a un avant et un après mercredi 6 novembre 1946 en rapport dix-huit ans plus tard avec le trobar clus de l'huis qui l’enclot encore le mercredi 25 novembre de la même année. Le merveilleux secret du poète devient celui des troubadours.
Dominique Desanti indique octobre 1940 pour la découverte du Mémorial de Pétrarque par Aragon. Les yeux d'Elsa et son Cantique sont de 1942 ; mais son élaboration remonte à leur séjour de Villeneuve-lès-Avignon chez Pierre Seghers en 1941.
*** L'automne annonce la vieillesse. Nous identifions le divin murmure à l'Amour d'Elsa quand l'hiver annonce « le soleil qui viendra » dans Le nouveau crève-cœur de 1948.
Celui qui vient de voir monter le Graal, qu'il redescende vers le sanctuaire.
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