jeudi 22 juin 2023

Les immobilités bleues

...

« ... à la fin de muḥarram 627 / en décembre 1229 le Prophète [ vint ] trouver [ ibn Arabî ] et lui [ remettre ] le livre des « Fuṣûṣ al-ḥikam » – les « Chatons des sagesses » :

« J'ai vu l'Envoyé de Dieu dans une vision de bon augure qui me fut accordée pendant la dernière décade du mois de muḥarram en l'an 627 à Damas – que Dieu la protège !

« Dans sa main, il tenait un livre et il me dit : « Ceci est le livre des « Fuṣûṣ al-ḥikam ».

« Prends-le et apporte-le aux hommes afin qu'ils en tirent profit. »

« Je répondis : « J'écoute et j'obéis à Dieu, à Son Envoyé et à ceux qui parmi nous sont détenteurs du commandement » ainsi qu'il a été prescrit. [ S 4 V 59 ]

« J'entrepris donc de réaliser ce souhait. A cette fin, je purifiai mon intention et mon aspiration en vue de faire connaître ce livre tel que me l'avait assigné l'Envoyé de Dieu sans rien y ajouter ou en retrancher. [ ... ]

[ L'ajout et le retranchement rappellent ceux de l'Apocalypse de Saint Jean – XXII 18 et 19 – promis à l'ajout des fléaux et au retranchement de l'arbre de Vie et de la Cité sainte. On peut considérer les « Fuṣûṣ al-ḥikam » comme l'Apocalypse du Sheykh al-Akbar. ]

« Je n'énonce rien qui n'ait été projeté vers moi, je n'écris rien que ce qui m'a été inspiré. Je ne suis ni prophète ni envoyé mais simplement héritier ; et je laboure pour la vie future. »

[ On note que le Sheykh al-Akbar ne revendique pas la prophétie non légiférante que lui prête les akbabiens depuis l'émir abd al-Kader et que l'héritage renvoi pour le Sceau général de la sainteté ceux du Christ et du Sceau des prophètes. ]

« Suivent vingt-sept chapitres qui font référence à vingt-sept sagesses divines particulières octroyées à vingt-sept prophètes.

« Ces derniers – qui pour vingt-cinq d'entre-eux correspondent aux prophètes mentionnés dans le [ Noble ] Coran – ...

[ « Les deux prophètes qui font l'objet d'un chapitre dans les « Fuṣûṣ » et qui ne sont pas coraniques sont Seth et Khâlid ibn Sinân. » ]

[ Leur caractère prophétique n'est donc ici qu'une appréciation de Claude Addas. ]

« ... représentent les vingt-sept types prophétiques majeurs auxquels se rattache la longue série des « anbîyâ' » envoyés aux hommes depuis Adam jusqu'à Muḥammad. »

Cf. Claude Addas – Ibn Arabî ou la quête du Soufre Rouge – Damas, « refuge des prophètes » – Le rendez-vous des deux sceaux (1989)

Depuis Adam (1) et jusqu'à Muḥammad et Khâlid (2) qui ferment ici la série des vingt-quatre détenteurs d'une Sagesse qui ne sont pas forcement des prophètes coraniques.

Seth et Khâlid qui eût été prophète si son peuple ne l'avait pas rejeté ne sont pas coranique et Luqmân dont la Sagesse est proverbiale n'est pas tenu pour prophète.

Mais on tiendra Adam et Muḥammad pour prophète dans la série des vingt-quatre prophètes coraniques avec Élisée qui ne reçoit pas ici de « type prophétique » mais qu'on peut identifier sans toute à celui d’Élie.

Vingt-quatre donc comme le nombre des heures ou des avatars de Vishnu et comme celui des versets coraniques qui font la mention d'Adam ou de Jésus – un autre les comparant l'un à l'autre du point de vue leur création – S 3 V 59 a :

« Pour Dieu, l'origine de Jésus est similaire à celle d'Adam. »

Mais la plus surprenante de ces sagesses reste celle d'Uzayr – il s'agit vraisemblablement d'Esdras – au cœur de cet ouvrage (14) que le Noble Coran compare lui aussi à Jésus en empruntant le point de vue de leurs disciples respectifs – S 9 V 30 a :

« Les Juifs disent : « Uzayr est le fils de Dieu ! »

et les Chrétiens disent : « Le messie est le fils de Dieu ! »

Assertions dont la première ne s'entend guère qu'en comparaison avec la seconde.

« [ La nuit du jeudi 20 rabî al-awwal 628 / 1231 ] restera pour ibn Arabi celle où Dieu lui parla [ « sans intermédiaire » ] comme Il parla à Moïse « dans la plaine bénie » [ S 28 V 30 ] et [ ce ] « dans un espace grand comme la paume de la main » ...

[ Il doit s'agir de la manne céleste – la rosée du matin – qui délimite à l'aube un espace entre la nuit et l'aurore où elle s'évapore et grâce à laquelle les hébreux purent se désaltérer en la recueillant dans la paume de leur main. ]

« ... en un langage qui ne ressemble [ à aucun ] langage créé [ mais ] que comprend celui qui l'entend [ par ] cela même qui est prononcé.

« De ce qu'il me dit, je compris notamment ceci : « Sois un ciel de révélation, une terre de source et une montagne d'immutabilité » – « samâ' waḥyy » / « arḍ yanbû' » / « jabâl taskîn ».

[ « Fileur éternel des immobilités bleues » écrit Rimbaud dans son « Bateau ivre ». ]

   

    

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