mardi 27 juin 2023

La conjonction évanescente

...

« Ibn Arabî venait de quitter Fès où il avait commis l'imprudence de révéler un secret divin [ ... ] à de nombreux compagnons :

« Dieu m'avait communiqué l'un de Ses secret à Fès en 594. Je l'avais divulgué, ignorant qu'il était de ces secrets divins qu'on ne communique pas.

« J'en fus blâmé par le Bien-Aimé et je gardai le silence pour toute réponse. Finalement je Lui dit : « Règle ce problème auprès de ceux à qui j'ai confié ce secret puisque Tu es jaloux. Tu en as le pouvoir, moi pas ! »

« Je l'avais confié à environ dix-huit hommes. Il me dit : « Je me charge de cela. » Ensuite – alors que je me trouvai à Ceuta – Il m'informa qu'il avait ôté ce secret de leur poitrine et les en avait dépossédés.

« Je dis à mon compagnon – 'abdu'Llâh [ Badr ] al-Ḥabashî : « Dieu m'informez qu'il a fait telle ou telle chose. Allons à Fès constater cela par nous-même. »

« Je m'y rendis donc et lorsque ces personnes vinrent me voir, je constatai que Dieu les avait effectivement dépossédées de ce secret. »

« Cette vérification faite, ibn Arabî quitte Fès pour rentrer en Andalousie en compagnie d' al-Ḥabashî. »

Cf. Claude Addas – Ibn Arabî ou la quête du Soufre Rouge – Fès – L'ascension (1989)

Une œuvre du Sheykh al-Akbar rédigée dès 595 nous permet de supposer que ce secret est celui du Phœnix stupéfiant – « 'Anqâ' mughrib » – et du Soleil de l'Occident – « Shams al-Maghreb » – dans le microcosme de l'Homme parfait – « al-Insân al-kamil ».

Gérald T. Elmore le traduit en 1995 par « the fabulous Gryphon » – le Griffon étant une chimère avec une tête d'aigle et un corps de lion – mais c'est au « Fatâ » qu'il renvoi dans la suite de ses visions en 598 :

« Tandis que j'accomplissais les circumambulations [ autour du Temple antique ] en récitant les formules de glorification, de louange, de [ magnificence ] et [ d'unification ], ...

« ... tantôt embrassant la Pierre noire, tantôt touchant l'Angle yéménite [ ou ] m'approchant du Mur de multazam ...

« ... je rencontrai – alors que je me trouvai en extase devant la Pierre noire – le Jouvenceau évanescent, le Parlant silencieux, Celui qui n'est ni vivant ni mort, le Composé simple, l'Enveloppé enveloppant. »

Il se présente ensuite à lui comme la conjonction de la Connaissance, du Connu et du Connaissant, de la Sagesse, du Sapiential et du Sage n'ayant d'autre science que celle d'elle-même.

Cf. Claude Addas – Ibn Arabî ou la quête du Soufre Rouge – Le grand pélerinage – Voyage au centre de la terre (1989)

« Qui est ce « Jouvenceau » ? [ S'interroge Addas : ] tantôt désigné comme un ange et tantôt comme un être humain [ dont il a la face. ]

« Personnification de l'Esprit Saint » comme l'écrivait Michel Vâlsan [ ou ] Double lumineux, Jumeau céleste d'ibn Arabî lui-même comme le pense Henry Corbin.

[ La gémellité et la duplication étant ici particulièrement mal choisis pour décrire une triple conjonction dont l'évanescence exclut précisément qu'elle ne soit que celle d'ibn Arabî en lui-même. ]

« Éblouissante théophanie survenue au lieu même que Dieu désigne comme Sa maison [ mais où aucun éblouissement n'est évoqué si ce n'est sous la forme stupéfiante d'un Phœnix renaissant de ses cendres. ]

« Ces interprétations [ qui ne sont tout simplement pas fidèle à ce qu'elles décrivent ] ne sont pas contradictoires. Ce face à face – en tout cas – illumine pour le sheykh al-Akbar sa propre réalité essentielle [ qui n'est dès lors plus seulement la sienne. ]

« Mais [ ce vis-à-vis ] n'est pas le premier : déjà dans son « Kitâb al-Isrâ' » [ qui évoque les expériences visionnaires du Maghreb ] au début de [ son ] Voyage nocturne sur les traces du Prophète, ...

« ... Muḥyî'd-Dîn [ rencontre ] le « Jouvenceau » qui [ l'interpelle ] en ces termes : « Tu es toi-même le nuage qui voile ton propre Soleil ! Connais donc la Réalité essentielle de ton être ! »

   

    

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