mercredi 24 mai 2023

Le Vide-vivant

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Bernard de Fontaine (1153) – l'abbé de Clairvaux – a définit dans un court traité les quatre degrés de l'Amour :

1. L'amour de soi pour soi qui est l'expression d'un l'amour mondain souffrant et faisant souffrir d'une pénible perversion narcissique ; et il n'est guère nécessaire de la psychiatriser pour en rendre compte.

2. L'amour de Dieu pour soi qui est l'expression d'un orgueil spirituel que le Sheykh al-Akbar semble identifier à la « Rubûbiyya » – le degré de la Seigneurie – qui caractérise d'une certaine façon la réalisation ascendante vers la sainteté.

3. L'amour de Dieu pour Dieu qui est l'expression d'un repentir ou d'une contrition à travers laquelle toute âme sainte s'engage dans un éloignement par rapport à la proximité qu'il a réalisé dans sa phase ascendante.

L'identification à l'Identité suprême n'est qu'une modalité de cette proximité où l'altérité est rompue et où certains se complaisent dans l'ivresse mystique en-deçà de l'éloignement qui caractérise le retour vers les créatures.

4. L'amour du Soi pour Dieu qui est l'expression de l'Amour divin que le Sheykh al-Akbar semble identifier à la « 'ubûdiyya » – le degré de la servitude » – qui caractérise d'une certaine façon cet éloignement dans l'amour du prochain.

C'est de cet amour là que le maître spirituel – de tout temps et en tout lieu – aime son disciple et que le géniteur – s'il s'est détaché de lui-même – aime sa progéniture sans attendre de sa part la reconnaissance qu'il a déjà reçu de Dieu.

« Dieu est Amour et Puissance. La création des êtres procède de Son amour et non d'une quelconque contrainte. Détester ce qui est produit par la Volonté divine agissant par amour, c'est prendre le contre-pied du Vouloir divin et contester Sa sagesse.

[ Les quatre piliers des fonctions hiérarchiques du « tasawwuf » akbarien ne sont pas très loin : « al-Qâdir » – le Puissant – « al-Murîd » – le Voulant – « al-'Alîm » – le Sachant – « al-Ḥayy » – le Vivant – qui est ici Celui qui exerce Son amour.

Par contre, il y a bien une contrainte dans l'expression de la Volonté divine et de Sa sagesse qu'Il n'exerce par Sa puissance que sur Lui-même si l'Amour est une expression du Vivant.

Le sage de Bandiagara évoque ici la contrainte qui serait extérieur à elle-même et qui dès lors serait la figure d'une tyrannie s'exprimant comme une oppression non-consentie. ]

« Exclure un être de l'Amour primordial, c'est faire preuve d'ignorance capitale.

« La vie et la perfection [ qui caractérise le sommet des degrés dans les ordres hiérarchiques du corps, de l'âme et de l'esprit ] sont contenues dans l'Amour divin qui se manifeste en Force rayonnante, ...

« ... en Verbe créateur qui anime [ à travers le fiat du « KûN » divin ] le Vide-vivant. De ce Vide-vivant, Il fait apparaître des formes qu'Il répartit en règnes. »

[ Les règnes du Vivant où les djinns qui en sont dépourvus les empruntes aux créatures qui se rendent disponibles à leurs « dæmons » – des déités d'un ordre inférieur par rapport à celles des ancêtres.

Nous distinguons les anciens qui sont encore parmi nous des ancêtres qui pérégrinent vers la sphère de la réintégration où leurs déités réintègrent la myriade du Vivant. ]

Cf. Amadou Hampâté Bâ – Vie et enseignement de Tierno Bokar. Le Sage de Bandiagara – La parole – Dieu aime-t-il l'infidèle ? (1980)

Hampâté Bâ fait dire à Tierno Bokar qu'on peut comparer le « Vide-vivant » à la notion mathématique du « zéro » comme « potentialité pure » et comme « point initial » qui contiendrait en germe tous les nombres qui sortiraient de lui.

Mais il précise ensuite qu'il ne s'agit pas ici de « néant » mais plutôt de « non manifesté ».

L'esprit cartésien des mathématiques analytiques se répand partout mais se heurte aussi à l'esprit traditionnel de la sagesse africaine.

S'il y avait un « zéro » qui soit comme « point initial » une quantité de rien, il y aurait « 2 » au lieu de « 1 » entre « 1 » et « -1 ».

Le « non manifesté », c'est l'Unique de « l'Un sans second » qui nécessite un second pour se manifester comme le premier.

C'est donc le second qui apparaît en premier pour Le manifester ; c'est à dire la dyade qui prévaut sur l'unité du premier dans l'ordre de la manifestation initiale.

La décade est ici semblable à la dyade et l'annotation du « zéro » qui l'accompagne semblable au second qu'on appelle le « Yi » (2) du « Tao » dans « T'aï-ki » du « Yin » et du « Yang ».

Le « zéro » n'est donc pas le germe des nombres comme « pure potentialité » mais bien leur totalité comme achèvement de leur unité dans l'ordre de la décade.

Rappelons que dans l'ordre de la décade les limites étant « 1 » et « 2 », le plus petit intervalle (1) induit le quaternaire du nombre « 4 » dont elle exprime la somme – « Σ 4 = 10 » – pour la totalité des permutions (4) dans la dyade.

Raison pour laquelle la décade précède la dyade dans l'ordre de la manifestation initiale comme la dyade précède l'unité du premier dans l'ordre des manifestations du « non manifesté ».

   

    

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