dimanche 21 mai 2023

Le Quṭb az-Zaman de Nioro

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« En 1893, les maisons mères de la Tidjaniya en Algérie reçurent la nouvelle de la prise de Bandiagara par les Français. Il semblait que c'en était fini de l'Empire toucouleur du Macina. L'élan de la Tidjaniya en Afrique noire paraissait brisé.

« On apprit bientôt qu'Amadou Chékou, Commandeur des croyants – « Lamido dioulbé » – qui avait succédé à son père El Hadj Omar dans sa fonction spirituelle, avait quitté le pays, chassé par l'avance française et qu'on avait perdu sa trace.

« La Tidjaniya n'avait donc plus de Calife. »

« Les Chioukh des maisons mères s'inquiétèrent. Le conseil des zaouias d'Aïn-Mahdi et de Témacin se réunit. Les Chioukh savaient par une connaissance ésotérique propre à leur Ordre qu'un grand maître, un « Quṭb » devait se manifester – ...

« ... c'était ce qu'Alpha Hassim Tall avait annoncé à Tierno Bokar – mais ils ignorait où. »

[ Il nous semble cependant que la prise de Bandiagara annonce une échéance que le récit d'Hampaté Bâ situe entre 1910 et 1930 et qui correspond en 1920 à la catabase de l'apocatastase. ]

« À l'issue de leur réunion, ils décidèrent d'envoyer le Cheikh Muḥammad Lakhdar dans les différents territoires d'Afrique au Sud du Sahara avec une double mission : ...

« ... d'une part, rechercher celui qui réunirait les signes annoncés du « Quṭb » et d'autre part, ramener toutes les communautés Tidjani qu'il visiterait à la formule des « onze grains ».

[ La mission du Cheikh Muḥammad Lakhdar présente ici bien des similitudes avec celle du Mullâ Ḥusayn – le « Bâbu'l-Bâb » – à la recherche du Point du « Bayân » – le « Bâb » des Bayânîs : Siyyid 'Alî Muḥammad Shirazî – vers 1844.

Avec le même jeu des nombres qui devaient correspondre pour cet adventisme oriental à la manifestation des dix-huit lettres du Vivant qui sont celles d'al-Ḥayy – le « Ḥâ » (8) et le « Yâ » (10) identifiées à la première et la dernière lettres : Mullâ Ḥusayn et « Quddûs ».

On pourrait pousser la similitude après le martyr du Hadj Muḥammad 'Aliyyî Bârfurûshî – « Quddûs » – de 1849 entre le Shérif al-Moktar à Nioro en 1893 et le Mîrzâ Ḥusayn 'Alî Nûrî – « Bahâ'u'Llâh » – à Bagdad en 1863. ]

« La Tidjaniya n'ayant plus désormais à prendre part à aucun commandement temporel – à aucune action extérieure – elle se devait de revenir au nombre symbolisant la pure contemplation et les seules valeurs spirituelles.

« Cette mutation devait – bien entendu – s'accomplir autant dans le fond que dans la forme ». [ Celle du nombre onze qui a la valeur de l'ipséité divine du Pronom divin : « Huwa » – Lui – pour le « Hâ » (5) et le « Wâ » (6).

Le nombre du Nom de Majesté – « Allâh » (66) – est donc « 72» quand on prend en compte sa cinquième lettre – le « Wâ » (6) de « Huwa » induit par le « Hâ » (5) d'Allâh : « 'Alif » (1) + « Lâm » (30) + « Lâm » (30) + « Hâ » (5) + « Wâ » (6) = « 72 ». ]

« Cheikh Muḥammad Lakhdar prit la route pour accomplir sa double mission sans se douter que son périple durerait des années et qu'il finirait par le conduire à Nioro où – après avoir désespéré de rencontrer celui qu'il cherchait – il le trouverait enfin. »

« Il commença par se rendre en Égypte. De là, il gagna le Soudan anglo-égyptien puis l'Afrique noire, visitant toutes les régions où la Tidjaniya comptait des zaouias. Mais nul part il ne décelait les signes annoncés. »

« Il parcourut le Tchad, le Nigeria, le Niger et enfin, il arriva au Soudan français – le Mali. Il traversa Bandiagara puis – longeant le Niger, continua sur Mopti et Ségou avant d'arriver à Bamako.

« Finalement, il apprit que la ville de Nioro était devenue – après l'abandon de Dinguiraye – le centre des activités d'El Hadj Omar.

« Autre caractéristique frappante, c'était à partir de Nioro qu'El Hadj Omar avait perdu le contrôle de son armée et que le caractère jusque-là purement religieux de sa conquête lui avait échappé.

« Le Cheikh apprit encore l'histoire de cette ville dont le nom exact – « Nûr » – signifie Lumière en arabe coranique. Une trajectoire de Lumière semblait s'être arrêté là. Il se pouvait qu'une autre y prît naissance.

« Il décida de s'y rendre, espérant y trouver ce qu'il cherchait. »

Cf. Amadou Hampâté Bâ – Vie et enseignement de Tierno Bokar. Le Sage de Bandiagara – La vie – Le maître – Origine de la pratique des « onze grains » et des « douze grains » (1980)

La suite du récit raconte la réforme de la communauté de Nioro et la désaffection du Shérif al-Moktar puis l'adoubement du Shérif Hama'Llâh dont la charge n'allait entrer en fonction qu'après le décès du Cheikh Muḥammad Lakhdar en 1909 :

« C'est toi qui est le « Quṭb az-Zaman » – le Maître de l'Heure [ et ] le Pôle du Temps que j'ai cherché partout. »

La narration d'Hampâté Bâ se prévaut du témoignage de témoins directs dûment nommés : Kisman Doucouré – marabout marka de Nioro – Moulaye Ismaïl qui le tenait du Shérif Hama'Llâh et Gata Bâ – membre de la famille royale de Denianké.

   

    

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