samedi 20 mai 2023

Le Quṭb al-aqṭab du Quṭb al-maktum

...

[ « On sait que la Tidjaniyya – confrérie née en Algérie dans les plus pures traditions du soufisme [ « khâlwatî » ] – avait pénétré le monde [ nègre ] selon trois voies :

- l'une qui venait directement du Nord, descendant de l'Algérie vers le Soudan et Tombouctou ;

- l'autre qui venait de l'Ouest par le fleuve Sénégal ;

- la troisième enfin qui venait de l'Est par l'entremise d'El Hadj Omar qui l'avait ramenée de La Mekke. » ]

[ « L'un des êtres les plus hautement spirituel de la Chrétienté se disait l'époux de « Dame Pauvreté » [ le Poverello d'Assise ] ; Tierno – lui – avait épousé « Dame Charité. » ]

« Quelque temps après la mort de sa mère [ en 1927 ], Tierno reçu une lettre qui devait jouer un rôle capital dans son l'orientation ultérieur de sa vie spirituelle.

« Cette lettre émanait d'Alpha Hassim Tall – le frère du roi de Bandiagara – qui s'était retiré au Hedjaz – en Arabie.

« Alpha Hassim Tall lui rapportait par le menu les persécutions que le jeune régime wahhabite faisait subir aux tenants des confréries.

« Ces « puritains de l'Islam » s'attaquaient violemment à toutes les manifestations ou survivances du soufisme en Arabie. »

« Alpha Hassim Tall – inquiet peut-être au sujet de l'avenir de la Tidjaniya – entretenait longuement Tierno de ce problème et lui transmettait quelques secrets connus des seuls grands initiés de l'Ordre.

« Il lui disait – notamment – qu'avait été annoncé la manifestation prochaine – au sein de la Tidjaniya – d'un maître spirituel – [ un ] « Quṭb » ou [ un ] Pôle – dont la mission serait de revivifier la Tidjaniya.

« Des détail extrêmement précis étaient donnés sur les signes distinctifs qui permettrait de reconnaître cet homme prédestiné.

« Il était également indiqué que son origine familiale serait indifférente, ce qui impliquait qu'il pouvait surgir dans n'importe quel milieu. »

« Enfin, Alpha Hassim Tall précisait à son correspondant les prières spéciales à dire, les mortifications à s'imposer qui l'aideraient à reconnaître – sans risque d'erreur – le flambeau lorsqu'il apparaîtrait.

« Parmi ces mortifications figurait un jeune de trois ans [ ce qui laisse supposer une échéance vers 1930. ] Tierno Bokar [ ... ] observa à la lettre toutes ces recommandations. »

« Cela se passait aux environs des années trente. Or – à cet époque – un mouvement religieux propre à la confrérie Tidjani secouait les communautés musulmanes des zones soudanaises et sahéliennes.

« Un adepte Tidjani de la ville de Nioro – Cheikh Hama'Llâh qu'on appelait Shérif parce qu'il était descendant du Prophète par son père – avait été élevé à la dignité de Calife de l'Ordre.

« Il avait reçu pour mission [ ... ] de faire retourner la Tidjaniya à sa source et de la faire revenir [ ... ] à la pratique originelle de la « wasifa » consistant à réciter l'oraison [ de la ] « Djawharatu'l-kamal » onze fois et non douze. » [ ... ]

[ « L'oraison de la Perle de la perfection fut révélée par le Prophète Muḥammad en vision à Si Aḥmad Tidjani un jour de 1781 à Bar-Semghoum en Algérie avec injonction de la réciter onze fois [ une ou deux fois par jour. ]

« La récitation par douze fois fut introduite par les grands élèves du fondateur et reprise par la suite par certaine branches de la Tidjaniya dont la branche omarienne » [ de Bandiagara. ]

Hampâté Bâ attribue le « onze grains » à la « maison mère » d'Aïn Madhi sans préciser ni le lieu ni la date mais en écrivant que « cela se pratique toujours » en 1980. ]

« Le « Hamallisme » – ainsi nommé par l'Aministration française de l'époque – allait s'étendre des rives du Sénégal au Gobir et des portes du Sahara au cœur de la forêt.

« Les hommes religieux échangeaient des lettres, se posaient des questions [ mais ] les Tall – descendants ou parents d'El Hadj Omar – avaient appris de ce dernier à réciter la Perle de la perfection douze fois.

Ils prirent donc une position de farouches opposants envers ceux que l'on appela – en raison du nombre de grains [ sur ] leur chapelet – les « onze grains ».

[ « L'importance du nombre onze vient de sa signification dans la symbolique [ numérique ] musulmane. Il est le nombre de la spiritualité pure et de l'ésotérisme car il symbolise l'unité de la créature liée à l'unité du Créateur.

« Il est la clef de la communion mystique. Ce nombre joue un grand rôle tant le symbolisme musulman que dans les traditions africaines. »

Disons plus sobrement qu'il articule l'unité de la décade (10) et l'unicité de la monade (1) en arithmétique.

« Le nombre douze qui en est issu symbolise [ ... ] l'action dans le monde et le sacrifice. Le douze est [ ... ] une émanation du onze pour des raisons arithmosophiques » [ qu'Hampâté Bâ juge trop longues à développer et qui nous échappent. ]

« Tall par sa naissance et grand par son rayonnement, Tierno Bokar fut invité à mêler sa voix au chœur des malédictions [ proférées à l'encontre des « onze grains ». ]

« Mais il était inconcevable pour un homme comme Tierno de porter un jugement de valeur sans avoir entendu l'incriminé et sans disposer d'éléments de comparaison.

« Il ne prit donc pas position et secrètement attendit l'occasion de se rendre à Nioro pour juger par lui-même.

« Cette occasion [ ne ] lui sera donnée qu'en 1937. [ ... ] Tierno rencontra le Shérif Hama'Llâh, [ ... ] il le reconnut pour celui qui lui avait été annoncé par Alpha Hassim Tall et [ cette reconnaissance ] fut la cause de toutes ses épreuves. »

Cf. Amadou Hampâté Bâ – Vie et enseignement de Tierno Bokar. Le Sage de Bandiagara – La vie – Le maître – La zaouïa de Bandiagara (1980)

   

    

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