samedi 13 mai 2023

Poussière de flammes

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« Le problème [ de la transmission des connaissances et de la circulation des idées pour les trois premiers siècles de l'hégire ] est d'autant plus complexe que sunnites et chiites revendiquent l'héritage de l'Imam Ja'far [ as-Sâdiq ] (765) ...

« ... dont l'enseignement a profondément marqué les spirituels de l'une et l'autre de ces communautés.

« Massignon relève d'ailleurs que certaines « chaînes de transmission » attribuent à l'imam Ja'far la mise en circulation d'un hadith « qudsî » – un propos « divin » – qui fait état de la primogéniture du Prophète ...

« ... par le biais d'une « poignée » – « qadba » – de la « Poussière primordiale » à laquelle Dieu ordonne : « Sois Muḥammad ! » – « Kûnî Muḥammad ! »

[ « Il est à noter que contrairement à ibn Arabî – lequel [ ... ] ne cite aucune des traditions qui ont fleuri sur le thème du « nûr muḥammadî », l'émir 'abd al-Qâdir [ al-Jazâ'irî ] fait référence à ce « khabar » [ cette tradition. ]

« Rappelons que certains « ghulât » identifiait Fâtima à ce « kûni ». ] [ ... ]

« L'idée étant ici que le Prophète constitue la « materia prima » ou pour reprendre la terminologie propre au soufisme, la « Poussière primordiale » – « al-Habâ' » – dont est issue la Création toute entière. »

Cf. Claude Addas – La Maison muḥammadienne. Aperçus de la dévotion au Prophète en mystique musulmane – « En vérité, tu es d'un caractère sublime » [ S 68 V 4 ] – « Une lumière vous est venue de la part de Dieu » [ S 5 V 15 ] (2015)

Nous suivons l'index de la Maison muḥamadienne sous les rubriques « habâ' » et « Ja'far as-Sâdiq » :

- « Ibn Arabî (1240) indique à ce propos dans le chapitre des « Futûhât » dont l'objet est le « Commencement du monde » que Sahl at-Tustarî (896) et 'Alî ibn abû Tâlib (661) ont évoqué cette « Poussière primordiale ».

« De fait, il en est question dans un bref opuscule de Tustarî consacré au symbolisme des lettres, lequel aura une influence durable sur les écrits ultérieurs relatifs à la « science des lettres » [ « ilm al-hurûf ». ] [ ... ]

- « Sulamî (1021) rapporte en effet à propos du premier verset de la sourate 68 – à savoir la lettre « Nûn » que l'imam Ja'far [ ... ] identifie à la « Lumière muḥammadienne » [ ... ] – un propos dont il attribue la paternité à ibn 'Atâ' (922) ...

« ... et qui n'est pas sans rappeler l'interprétation de l'imam quoique formulée autrement :

« Il a voulu dire par là : la lumière [ éternelle ] [ attribuée à la pré-éternité ] dont Il a créé toutes les lumières et par laquelle Il a illuminé l'être intime [ le secret ] – « sirr » – de Son [ bien ] aimé [ le Sceau des prophètes ] – sur lui la Grâce et la Paix – ...

« ... et les cœurs des « awliyâ' » de sa Communauté » [ des amis de Dieu parmi les bénéficiaires de Sa miséricorde. ] [ ... ]

- « Ibn Masarra (931) privilégie [ ... ] la notion de « materia prima » que traduit l'expression de « Poussière primordial » – « al-Habâ' » – pour rendre compte de la préexistence du Prophète et de la modalité de sa fonction cosmogénératrice [ sic ].

« C'est une approche plus philosophique – au sens de « hikma » [ sagesse hermétique ] et non de « falsafa » [ philosophie spéculative ] – qui est celle [ du ] « Traité des lettres » attribué à Tustarî.

- « D'autres écrits d'ibn Arabî – en mode discursif – s'adressent – au-delà des disciples – aux « esprits rationnels » – « ahl an-nazar » – et en usant d'un vocabulaire qui leur est familier, ....

« ... celui de la spéculation philosophique que les « Épîtres des Frères de la Pureté » avaient répandu en Andalousie.

« Tel est le cas du [ sixième ] chapitre des « Futûhât ». Sans renoncer au lexique traditionnel, ibn Arabî le met en correspondance avec celui de la « falsafa » : ...

« ... il identifie – par exemple – la « Poussière primordiale » à la « hayûlâ » – forme arabisée du grec « hylé » – et – à la fin de ce chapitre – fait référence aux catégories aristotéliciennes :

« Le commencement de la Création, ce fut la « Poussière primordiale » [ « al-Habâ » ] en laquelle le premier étant [ la première créature ] fut la « Réalité muhammadienne » [ « al-aqîqa muḥammadiyya » ] procédant Nom [ divin ] « ar-Raḥman ».

« Puis Il [ le Créateur ] s'est épiphanisé [ sic ] par Sa lumière à cette Poussière – que les gens de la spéculation appellent la « materia prima » [ « al-hâyûla » ] – en laquelle l'univers entier se trouvait en puissance.

« Chaque chose qui se trouvait en cette « Poussière » reçut [ « de cette théophanie » ] à la mesure de sa capacité et de sa prédisposition.

« Et rien, dans cette « Poussière » n'était plus proche de Lui [ « ar-Raḥman » ] pour recevoir cette théophanie que la « Réalité » de Muḥammad – sur lui la Grâce et la Paix – qu'on appelle aussi « l'Intellect » [ « al-'aql ». ]

« Il est donc le maître de l'univers et le premier qui apparut dans l'existence. »

Cf. Claude Addas – La Maison muḥammadienne. Aperçus de la dévotion au Prophète en mystique musulmane – « Et nous ne t'avons envoyé si ce n'est vers la totalité des hommes »   [ S 34 V 28 ] – « J'étais prophète... » (2015)

La Matière philosophale précipite la Lumière muḥammadienne dans sa Réalité métaphysique où Elle apparaît comme la « Raḥmaniyya » d'Allâh – Sa miséricorde.

L'épiphanie tient lieu de précipitation dans un processus alchimique où la Réalité prophétique est une Pierre philosophale dont les vertus sont des théophanies.

Pour la science des lettres ja'farite à laquelle Sulamî et ibn Masarra font référence, cette Lumière primordiale émane de la lettre « Nûn » dans le « Kûn » divin – son « fiat lux » biblique ordonnant le « tohu-bohu » originel – cf. Gn I 2 et 3.

Le « fiat » du « Kûn » divin s'exprime ainsi directement à trois reprises – sans passer par la Lumière originelle – pour la création de l'Esprit muḥammadien qu'ibn Arabî identifie à l'Intellect puis pour celle d'Adam et d'Isâ ibn Maryam – cf. S 3 V 59.

Celle d'Adam vise à donner – de prophète en prophète – un support corporel à la manifestation de la Lumière qui en émane et celle du Christ à la recevoir dans son prototype adamique à la fin des temps – prototype alors transfiguré par cette réception.

Ce que Taqî ad-Dîn Subkî (1335) exprime à son tour en réfutant la réfutation – celle d'ibn Taymiyya (1328) que Qastallânî (1517) identifie ensuite à l'imâm al-Ghazâlî (1111) :

« Il est établi que Dieu a créé les esprits [ et les djinns ] avant les corps.

« Ainsi sa parole « J'étais prophète alors qu'Adam était entre l'esprit et le corps [ « entre l'eau et l'argile » ] peut référer soit à son noble esprit soit à une réalité – « haqîqa » – d'entre les réalités [ « suprasensibles » ] ...

« ... car nos intellects sont incapables de connaître les réalités [ « suprasensibles » ].

« Dieu seul les connaît et ceux [ les « awliyâ' » les plus proches ] qu'Il assiste d'une lumière divine [ d'une vision prophétique ]. [ ... ]

« Ainsi donc sa réalité était-elle présente dès lors – quand bien même son apparition physique n'advint que plus tard. [ ... ]

« De là, on sait que ceux qui interprètent [ ce « hadîth » ] comme signifiant que Dieu savait qu'il serait prophète ne son pas parvenus au sens [ « véritable » ] [ de cette assertion. ]

« si la signification en était seulement la science que Dieu avait de ce qu'il deviendrait prophète, cela ne constituerait pas une spécificité propre au [ Sceau des prophètes ] car Dieu savait de tous les prophètes qu'ils deviendraient prophètes. »

Cf. Claude Addas – La Maison muḥammadienne. Aperçus de la dévotion au Prophète en mystique musulmane – « Le Prophète est plus proche des croyants qu'ils ne le sont de leurs propres âmes » [ S 33 V 6 ] – «  Mes yeux dorment mais mon cœur ne dort point » *

* Assertion qu'on attribue au Sceau des prophètes parce qu'il « entend et répond à celui qui appelle les bénédictions sur lui » mais qui vient du « Cantique des cantiques » – cf. Ct V 2.

   

    

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