samedi 7 janvier 2023

La religion de la croix

...

« Ibn Arabî cite [ dans le trente-sixième chapitre des « Futûât al-Makkiyya » ] l'exemple déjà évoqué [ dans le « Rûh al-Quds » ] de son maître Abû'l-Abbâs al-Uryabî [ Abû Ja'far ] qui – dit-il – fut « îsawî » sur la fin de sa vie.

« Il nous donne en outre une indication autobiographique majeure en précisant que lui-même – au contraire – fut « îsawî » à ses débuts, puis « mûsawî », puis « hûdî » [ ... ] ...

« ... après quoi il hérita successivement de tous les prophètes et – en dernier lieu de Muḥammad lui-même. [ ... ]

[ Il est claire que Muḥyi'd-Dîn a parcouru un itinéraire tout à fait cohérent du christianisme à la source juive jusqu'à ce que le prophète des 'Âd – Hûd – l'y introduise devant l'assemblé des prophètes pour y recevoir la Lumière muḥammadienne. ]

« ...Jésus fut, lors de son entrée dans la Voie, son premier maître. »

Nous avons vu qu'ibn Arabî lorsqu'il signale comme exemple le cas de son maître Abû'l-Abbâs al-Uryabî précise que ce dernier fut « îsawî » sur la fin de sa vie et ajoute que lui-même le fut – au contraire – lors de son entrée dans la Voie, ...

« ... après quoi, il devint successivement « mûsawî », « hûdî », etc. [ ... ]

« ... un même « wali » peut cumuler plusieurs héritages prophétiques au cours de son existence, ce qui a nécessairement pour effet de brouiller les signes distinctifs et interdit une application mécanique de la typologie akbarienne.

« Il n'en reste pas moins que certains « awliyâ » présentent des caractéristiques permettant une identification, parfois [ ... ] confirmée par ibn Arabî lui-même : ...

« ... tel est le cas de Hallâj que l'on voit mentionné à plusieurs reprises dans le [ vingtième ] chapitre des « Futûhât » où le Shaykh al-Akbar traite [ d'une ] science « propre à Jésus » et où il déclare expressément :

« Cette science était celle de Husayn ibn Mansûr », indication qui se rapporte plus particulièrement à la doctrine hallâjienne du « tûl » et du « ard » – de la hauteur et de la largeur – termes dont la relation avec un symbolisme cruciforme est tout à fait claire.

[ Comme il est tout à fait claire que cette science se rapporte au « Symbolisme de la Croix » (1931) de René Guénon mais que Chodkiewicz préfère cette fois s'y référer à un article des Études traditionnelles de Michel Vâlsan qui date de 1971. ]

« Les miracles que la tradition associe à Hallâj, les propos qu'on rapporte de lui, notamment le fameux vers : « C'est dans la religion de la croix que je mourrai » ...

« Fa fî dîni al-salîb yakûnu mawtî »

« ... sa « passion » même confirment avec force ce rattachement au type christique en quoi il ne faut pas voir autre chose que la manifestation d'une des possibilités incluses dans la sphère de la « walâya » muḥammadienne. »

[ Sphère qui dans la théorie des ensembles concomitants inclut celle de la « nubuwwa » mais qui se trouve apparemment inversée dans le chapitre que Corbin consacre en 1971 à « l'imâmologie » du « shî'isme duodécimain ».

Tous les messagers sont des prophètes et tous les prophètes sont des saints ; mais tous les saints ne sont pas des prophètes et tous les prophètes ne sont pas des messagers. ]

« Walâya » > « Nubuwwa » > « Risâla »

« Nous ne nous étendrons pas sur le cas de Hallâj à propos duquel il suffit de renvoyer aux ouvrages de Massignon (1936) et surtout à l'édition posthume de la « Passion » (1975) en y joignant le livre de [ Roger ] Arnaldez [ sur ] la religion de la croix (1964). [ ... ]

« Que Massignon [ ... ] n'ait pas su résister à la tentation de « christianiser » Hallâj, suscitant par là même un intérêt assez suspect dans certains milieux chrétiens et entraînant une dévalorisation concomitante d'autres visages de la spiritualité islamique, ...

« ... justifie sans aucun doute un usage prudent de ses travaux.

« Mais la résonance étonnamment christique de certain propos de Hallâj et en particulier du célèbre « Anâ'l-Ḥaqq » qu'on peut difficilement ne pas rapprocher du ...

« Je suis la Voie, la Vérité et la Vie »

« ... de l'évangile de Jean [ XIV 6 ], devait inévitablement entraîner bien des confusions que seuls les critères akbariens permettent de dissiper. »

Cf. Michel Chodkiewicz – Le Sceau des saints. Prophétie et sainteté dans la doctrine d'Ibn Arabî – Les héritiers des Prophètes (2012)

On pourrait toutefois en dire tout autant de l'aspect christique que Martin Lings (1961) et Michel Vâlsan (1968) prêteront au Sheykh al-Alâwî (+ 1934) et que Chodkiewicz (1982) voudrait finalement étendre à l'émir abd al-Kader (+ 1883).

La doctrine du « ûl » et du « 'ar » qui n'a pour nous rien de spécifiquement « hallâjienne » se rapporte plutôt à l'invocation prophétique : ...

« lâ hawla wa lâ quwwata illâ bi-Llâh al-'Alî al-'Aẓîm »

... où l'élévation et l’immensité de la force et de la puissance d'Allâh sont misent en rapport avec la hauteur et la largeur géométrique d'une croix équilatérale.

Quelque soit la voie qu'emprunte le saint muḥammadien, elle tend nécessairement vers la réalisation de la « ḥaqîqa muḥamadiyya » ; réalisation que la parousie du Christ devrait finalement étendre à toute la « walâya ».

Chodkiewicz y peine quelque peu à ramener vers leurs prototypes les cent vingt-quatre mille prophètes qui selon lui devraient correspondre aux vingt-sept sagesses des « Fusûs al-Hikam » par symétrie avec les vingt-sept « dajjâlûn ».

Ni Shîth (Seth) ni Khâlid n'étant mentionné dans le Noble Coran, il suppose que Dhû'l-Kifl et al-Yasa' (Élisée) qui s'y trouvent mais qui n'apparaissent pas parmi les « Fusûs » doivraient leur correspondre.

L'idée d'une correspondance nous semble recevable mais de toute évidence c'est à 'Isâ (Jésus) et à Ilyâs (Élie) qu'il faudrait les faire correspondre si Dhû'l-Kifl correspond bien comme nous le croyons au didyme de Jésus.

D'autant qu'ici le nombre de référence (27) n'est pas le bon alors qu'il apparaît somme toute dans celui des prophètes (24) tels que Suyûtî les mentionne aussi mais avec une variante quand il n'en dénombre que vingt-cinq.

Comme Chodkiewicz précise que ni Luqmân ni 'Uzayr (Esdras) ne sont généralement tenu pour tel, nous en déduisons que c'est bien Dhû'l-Kifl et al-Yasa' (Élisée) que Suyûtî mentionne à leur place.

Mais la présence de Luqmân parmi les « Fusûs » montre bien qu'il y a ici une certaine confusion dans l'interprétation qui en est faite entre les sagesses et les prophètes alors qu'il est douteux qu'il faille compter Dhû'l-Kifl parmi eux.

Une partie de l'énigme réside dans le nombre des versets coraniques (49) qui mentionnent Adam et 'Isa (Jésus) séparément (2 x 24) avec une occurrence (1) qui les réunis tous les deux pour les comparer l'un à l'autre – S 3 V 59.

L'autre partie de l'énigme réside dans la correspondance qui existe entre Shîth et Dhû'l-Kifl comme héritier de la Sagesse d'Adam pour l'un, comme détenteur d'un corpus semblable au Noble Coran pour l'autre avec un même nombre de sourates et de logia (114).

Et enfin, il faut considérer que les sagesses de Khâlid et de Muḥammad forment en quelque sorte une paire qui achève la série des « Fusûs al-Hikam » là où celle d'Adam la commence – « 1 + 24 + 2 ».

Signalons encore que l'index des prophètes des éditions Tawhid (2007) n'en mentionne que vingt-quatre tandis que René Guénon comme Suyûtî en mentionnait vingt-cinq dans un article de 1932 consacré à la chirologie de l'ésotérisme islamique.

   

    

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