vendredi 13 janvier 2023

La Walâya muḥammadiyya

...

Le Sheykh al-Akbar déclare dans un poème placé au début du quarante-troisième chapitre des « Futûhât » :

« Je suis – sans nul doute – le Sceau de la sainteté
En ma qualité d'héritier du Hâshimite et du Messie. »

Si Muyî'd-Dîn était le Sceau de la sainteté muammadienne, il ne serait pas l'héritier du Messie. Le double héritage – celui du Prophète et celui du Messie – est le propre de la sainteté générale.

Un texte plus tardif cité par Michel Chodkiewisz traite de la station d'Abraham :

« Nous espérons obtenir une part de l'Amitié divine [ « al-Khulla » ] qui est attribuée à Abraham de même que nous a été accordé – selon une bonne nouvelle reçue de Dieu – une part généreuse du degré de la perfection et de la fonction de Sceau. »

Outre la bonne nouvelle qui est une représentation évidente de l'évangile, la part suppose la complémentarité des deux définitions de la perfection dans la fonction ; la part généreuse, celle de sa fonction la plus générale ou la moins spécifique.

Il va sans dire que la prophétie du Sceau des prophètes est hors de propos dans ce partage et que la sainteté absolue du Christ est par définition sans partage.

Un autre poème mentionne Jésus à côté Sheykh al-Akbar comme le détenteur de la foncion :

« J'ai été suscité pour aider la religion d'Allâh
Mais l'aide vient de Lui – comme il est établi dans les Livres
Car je suis de lignage Hâtimî – et donc généreux
Et Tâ'î et Arabî – ancêtre après ancêtre
[ ... ] Je suis le Sceau de tous ceux qui [ le ] suivent [ le Prophète ]
[ ... ] Jésus est – je l'affirme sans mentir – le Sceau de ceux qui furent auparavant. »

Outre son patronyme, Muyî'd-Dîn assume une fonction semblable à celle du Christ mais qui ne nous autorise pas à la transposer comme telle dans la vision inaugurale du prologue des « Futûhât » que Michel Valsan qualifie d'investiture :

« [ Le Prophète ] me vit derrière le Sceau [ celui de la réalité muḥammadienne ] place où je me tenais en raison de la communauté de statut qui existe entre lui et moi et lui dit :

« Celui-ci est ton pareil [ en raison d'une similitude dans l'économie cyclique de la station ], ton fils et ton ami. Dresse pour lui devant moi la Chaire de tamaris » [ qui servait de « minbar » au Prophète à Médine. ]

« Ensuite il me fit signe à moi-même : « Lève-toi – ô Muḥammad [ il s'agit cette fois d'une similitude avec le Prophète dans le patronyme de Muyî'd-Dîn ] – et monte en chaire [ afin de ] célébrer la louange de Celui qui m'a envoyé et la mienne ...

« ... car en toi il y a une parcelle [ de ton héritage ] qui ne peut plus supporter d'être loin de moi et c'est elle qui gouverne ta réalité intime. » [ ... ]

« Alors le Sceau [ de la réalité muḥammadienne ] installa la Chaire en ce lieu solannel. Sur son fronton était inscrit en lumière [ bleue ] [ qui la transcription de Chodkiewisz qualifie de « brillante » ] :

« Ceci est la station muḥammadienne la plus pure ! Celui qui y monte en est l'héritier et Dieu l'envoie pour veiller au respect de la Loi sacrée ! »

« En cet instant me furent accordés les dons des Sagesses et c'était comme si m'avaient été octroyées les sommes des Paroles. » [ « Jawâmi al-Kalim » ]

Chodkiewisz contourne l'obstacle qui consiste à ignorer la fonction spécifique du Sceau de la sainteté muḥammadienne en introduisant Jésus dans un récit où il n'a pas sa place puisqu'il s'agit d'une évocation de la station muḥammadienne.

Sur la Chaire de tamaris, il n'y a que trois personnages : le Sceau de la prophétie, le Sceau de la sainteté muḥammadienne et le Sceau de la sainteté générale qui est l'héritier du Christ et du Prophète.

Cf. Michel Chodkiewicz – le Sceau des saints. Prophétie et sainteté dans la doctrine d'ibn Arabî – Le Sceau de la sainteté muḥammadienne [ et ] Les quatre piliers (2012) :

Le Sceau de la sainteté muḥammadienne est plus difficile à identifier dans le récit akbarienne – et pour cause – bien qu'il déclare l'avoir rencontré à Fès en 594 / 1198 et avoir reconnu chez lui « le signe qui lui est propre » :

« Quant à la fonction de Sceau de la sainteté muḥammadienne, elle appartient à un homme d'entre les Arabes, l'un des plus nobles par son lignage et son pouvoir. Il est vivant à notre époque. Je l'ai connu en 595.

J'ai vu le signe qui lui est propre et que Dieu a caché en lui à l'abri des regards de ses serviteurs mais qu'il a dévoilé pour moi dans la ville de Fès afin que je puisse constater la présence en sa personne du Sceau de la sainteté. » [ ... ]

« ... par le Sceau muḥammadien [ Dieu ] a scellé la sainteté qui provient de l'héritage muḥammadien, non pas celle qui provient de l'héritage des autres prophètes ... »

Il pourrait s'agir d'ibn Ja'dûn dont l'une des notices du « Rûh al-Quds » relate son extraordinaire discrétion et que le « Kitâb manzil al-Qutb » présente comme l'un des quatre piliers – « awtâd » – parmi leurs substituts.

Il ne devrait pas s'agir – nous semble-t-il  d'al-Ashall al-Qabâ'ilî que la « Durra fâkhira » identifie au Pôle de son temps et que Muyî'd-Dîn aurait rencontré à Fès en 593.

Celui dont la présence était pour ainsi dire indétectable a pu dissimuler le signe que le Sheykh al-Akbar a su voir et que le Qutb al-Maktum aura voulu manifester au sommet de la « walâya muḥammadiyya » six cents ans plus tard.

   

    

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