jeudi 1 avril 2021

Les clavicules de Salomon

Pour le vingt-troisième cycle du quatrième mois de la décade
comprenant la nuit et le jour :

« Salomon – Suleiman – [ le ] fils de David et [ le ] roi d'Israël, est aussi le chef des djinns, celui qui a pouvoir sur les êtres surnaturels [ les sylphes, les gnomes, les ondes et les salamandres ] et qui connaît les secrets de l'univers, grâce à un talisman : [ ... ]

« [ ... ] un anneau magique qui porte gravé le signe divin, l'étoile formée de deux triangles inversés dessinant un hexagone [ les êtres surnaturels sont en rapport avec les quatre éléments alchimiques ] au centre duquel est écrit le nom d'Allah [ ... ]. »

[ L'anneau magique est en rapport avec les 360 éons qui constituent les temps apocalyptiques tels qu'on les projette sur un miroir magique et avec l'Abraxas qui réintègre les cinq éons complémentaires dans le cercle initial :

« L'humanité, expliquait [ l'abbé de Villars en 1670 ] était entourée d'esprits élémentaires que les Rose-Croix avaient le pouvoir de subjuguer pour les mettre au service de l'humanité, [ ... ]

« [ ... ] en les emprisonnant dans un miroir ou dans un anneau, et en les obligeant ensuite à se montrer lorsqu'ils leur en donnaient l'ordre. » – cf. Egon Larsen – La confrérie mystique des Rose-Croix (1971) ]

« Les « Clavicules » portent avec elles le secret de la magie de Salomon, dont les navigateurs du XVIIIe siècle sont naturellement [ les ] héritiers.

« Hommages voués à la guerre et à la mort, par leur aventure extrême ils touchent au divin. Ne règnent-ils pas sur les mers immenses, là où nul ne peut vivre sans le secours des esprits et sans l'accord de Dieu.

« Et quels [ gentils ] hommes [ de fortune ] [ ou ] [ d'infortune ] [ ... ] eux qui, au hasard d'un combat, où les vents, la position du soleil et la chance [ ... ] valent autant que la force et que les armes, [ ... ]

« [ ... ] peuvent en un seul jour posséder la rançon des rois, la dot de la file du Grand Moghol, ou les trésors arrachés aux mines de Golconde !

« Il n'y a sans doute jamais eu dans l'histoire du monde rien de comparable, sauf peut-être l'exploit des Conquistadors espagnols, cette poignée d'aventuriers qui débarquaient de leurs galions dans le nouveau monde,

« [ ... ] et qui à l'aide de quelques caisses de colifichets et de verre filé, avec leurs chevaux et leurs arquebuses renversaient des empires entiers, anéantissaient des civilisations millénaires, avec tous leurs dieux et toutes leurs richesses. »

« Langage magique dans les cryptogrammes, les « Clavicules de Salomon » referment encore davantage le secret du trésor.

« Elles le referment sur le centre même du mystère, quelque chose que mon grand-père cherche comme un cœur, comme le foyer de la vie.

« Au fond de cette vallée, où tout semble si abandonné, si désert, semblable à une planète morte, ce ne sont pas la mémoire ni les désirs des visiteurs passagers qui comptent, [ ... ]

« [ ... ] mais au contraire tout ce qui est resté intact loin des hommes, cette braise qui palpite encore.

« De même que toutes les traces du Corsaire se retrouvent dans la grille – le plan de la rivière et de la côte des documents Savy – [ ... ]

« [ ... ] de même tous les secrets du langage de cette quête sont dans le carré formé par les vingt-cinq lettres de l'alphabet – en ce temps-là on ignore le « w » – plus une : [ ... ] »

« Pour transcrire un texte selon le système des « Clavicules de Salomon », il faut une clef. »

[ Les lettres pointées ou pas entrent dans un carré de neuf cases où seule la case centrale est fermée sur ses quatre cotés et dans une croix de Saint-André à quatre angles.

En traçant les perpendiculaires, les angles et les points on obtient vingt-six signes avec une position dans l'angle inférieure qui n'est pas pointée si on ignore la lettre « w ».

Nous décrivons la version donnée par Le Clézio puisque le nombre des lettres et leur distribution dans ces cryptogrammes varient apparemment d'une interprétation à l'autre. ]

« Tel est le langage secret que mon grand-père a parlé pour lui-même, durant les trente années qu'il a consacrées à cette quête, dans la solitude de Rodrigues.

« Mais ces signent, ces symboles, n'étaient pas des jeux abstraits. Les « Clavicules de Salomon » étaient véritablement un sceau magique, qui donnait à ceux qui s'en servaient un pouvoir sur les choses, sur [ les ] temps.

« Mon grand-père a-t-il cru vraiment qu'il parviendrait à arracher le voile par la seule vertu de ces signes ? Cela est douteux, d'autant plus qu'il ne consacre que quelques pages à ce travail de [ décryptage ] et semblait en faire peu de cas.

« Mais ce langage secret, enfantin, avec toutes ses tromperies et son mystère de pacotille, ses illusions et ses mirages, est en fait l'amorce d'un autre langage, plus vaste et [ plus ] profond, qui grandit année après année, [ ... ]

« [ qui ] construit ses rythmes et ses rites, et en quelque sorte se répand dans l'Anse aux Anglais autour de mon grand-père, puisque le rêve de certains hommes semble sortir d'eux et dessiner alentour une ombre, un halo, une légende. »

« C'est ce langage que je perçois maintenant, ici, au fond de l'Anse, une rumeur qui m'entoure, qui m'accompagne, qui s'amplifie, ou s'éloigne, selon l'attention que je leur porte, selon les tensions du lieu, les moments du jour. »

Cf. J. M. G. Le Clézio – Voyage à Rodrigues (1986)

Ce qui nous intéresse dans cette évocation, c'est le contact avec ce que Rimbaud identifie encore à la fin du XIXe siècle comme un Orient :

« Je veux devenir hideux comme un Mongol » dit l'époux infernal de la vierge folle dans le premier délire de la Nuit de l'enfer.

Il y a là – pour la succession des temps – tout ce qui intègre le Christ et les mahométans dans la vision rédemptrice du voyant.

Il n'avais pas en vue – précise-t-il – « la sagesse bâtarde du Coran » et maîtrisait tous les sophismes de la folie.

Lui qui voyait très franchement « une mosquée à la place d'une usine » aura cru voir depuis Harar – « quelquefois » – le rivage de Zanzibar. Allâh est bienveillant.

   

    

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